vendredi 16 décembre 2011

Le vieillissement a bon dos

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Pierre Pestieau

Dans les milieux tant politiques que scientifiques, il est courant de blâmer le vieillissement pour toute une série de problèmes: le chômage, la récession, les déficits publics et en priorité les difficultés du financement des retraites et des systèmes de santé. Sans nier une certaine pertinence dans ces affirmations, force est de constater qu’elles exagèrent le rôle des variables démographiques et sous-estiment nos inerties individuelles et collectives.

Les travaux portant sur la démographie et la gériatrie aboutissent tous aux mêmes conclusions : non seulement nous vivons de plus en plus longtemps mais nous vivons aussi en meilleure santé. Pour être précis, sur la période 2005-2007, l’espérance de vie d’un homme belge âgé de 65 ans est passée de 81,6 ans à 82,3 ans et son espérance de vie en bonne santé a augmenté d’un an (1). Il y a une différence entre les deux concepts mais les deux espérances ont bien augmenté.

On mesure le vieillissement d’une population par la fraction de la population dont l’âge est supérieur à 60 ou 65 ans selon le cas. Prenons l’âge de 65 ans ; le taux de vieillissement ainsi mesuré a sûrement augmenté durant ces dernières décennies ne fut-ce que parce que chaque année on vit 2 à 3 mois de plus. Si l’espérance de vie a augmenté de 10 ans en 50 ans, la population a sûrement vieilli si l’on adopte cet âge pivot de 65 ans. Rien ne nous empêche de prendre un âge pivot qui ne soit pas fixe mais évolue avec l’espérance de vie ou l’espérance de vie en bonne sante. Dans ce cas, on pourrait très bien avoir un taux de vieillissement qui diminue à la différence du taux de vieillissement basé sur un âge pivot fixe. Ce dernier taux est aussi appelé taux de dépendance puisque implicitement toutes les personnes de plus de 65 ans sont à la charge des plus jeunes.

Mais où est le problème ?

D’abord, le taux de vieillissement (dépendance) pourrait augmenter sans que la longévité ne s’accroisse ; c’est ce qui se produit temporairement lorsque la fécondité baisse, comme après la période du baby boom.

Ensuite nous ne subissons pas de façon identique la « prise de l’âge ». Pour des raisons liées aux gènes, à l’environnement et aux conditions de travail, certaines personnes « vieillissent » plus rapidement que d’autres et on a tendance à mettre l’accent sur ces personnes. Pour de bonnes et de mauvaises raisons. Bonnes parce qu’elles méritent une attention particulière et une protection sociale ciblée. Mauvaises parcequ’on en oublie le reste de la population dont la longévité en bonne santé augmente au même rythme que la longévité.

Mais le vrai problème est ailleurs ; il réside dans la difficulté que nous avons de nous adapter, individuellement mais surtout collectivement à des changements dans notre environnement. Individuellement, nous prenons des habitudes fondées sur le passé et il n’est pas facile d’en changer même si les circonstances devraient nous y amener. Collectivement, l’adaptation est sans doute plus difficile encore parce que s’il y a sacrifice on préfère que ce soit l’autre qui commence par en faire.

Prenons la question du départ à la retraite. Il paraît naturel que si l’espérance de vie augmente de 10 ans, on décide de partir à la retraite à un âge plus élevé, certes pas de 10 ans mais au moins de quelques années. Une telle décision est sans nul doute préférable pour tous sauf pour ceux qui sont proches de la retraite au moment de la réforme. Très naturellement, ces individus préférerait avoir le beurre (une retraite plus longue) et l’argent du beurre (une retraite généreuse). Même s’ils sont minoritaires, ils réussissent parfois à bloquer une reforme. Le blocage leur sera bénéfique mais pénalisera les générations jeunes et futures. La même problématique se retrouve dans l’éducation. Suite à des migrations et une baisse de fécondité la population scolaire peut baisser au point qu’il serait rationnel de réduire le nombre de classes et d’enseignants, d’autant que des pénuries peuvent apparaître ailleurs, dans des lieux de forte immigration ou de fécondité élevée.

Ces blocages sont-ils inévitables ? Certains pays ont réussi à les éviter ou à les surmonter. On peut citer les pays nordiques, l’Allemagne et d’autre pays où l’âge de la retraite est ajusté en fonction de l’évolution de l’espérance de vie et où les budgets de l’éducation nationale dépendent de la population des élèves. Dans ces réformes, il est crucial de garder à l’esprit les nombreuses exceptions à la moyenne. De nombreux travailleurs ne sont plus en état de poursuivre leur carrière professionnelle avant même l’âge de 65 ans et ce, en dépit d’une hausse de longévité dont ils ne bénéficieront sans doute pas. Dans l’éducation, certaines classes devront rester petites lorsqu’il s’agit d’enfants qui ont besoin de soins pédagogiques particuliers.

(1) Health expectancy in Belgium, EHEMU Country Reports, Issue 3 - March 2010. Quant aux femmes, leur espérance de vie à 65 ans passe de 85,2 à 86,6 ans; leur espérance de vie en bonne santé a augmenté de 0,6 ans.

Taxons les semences, même si nous ne savons pas pourquoi, y en a qui savent

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Victor Ginsburgh

Mon revenu imposable, déduction faite des retenues de sécurité sociale, de solidarité et d’indemnité funéraire (dont je vous ai déjà entretenu dans un blog précédent) est taxé. La partie que je consomme est à nouveau taxée à raison de quelque 20%, c’est la TVA ; l’alcool que je bois, et l’essence que je consomme en roulant après avoir bu sont en outre soumis à des droits d’accises, sur lesquels est appliquée la TVA, une triple cascade. Faut que je fasse attention au volant. Si on me pince, ça fera une cascade à quatre étages (1).

Rassurez-vous, je ne vais pas proposer de faire la révolution parce que les revenus sont taxés plusieurs fois. D’autres, bien plus riches que moi y ont déjà pensé. Leur révolution consiste à évader leurs impôts par tous les moyens légaux, ou à la limite de la légalité et ils y réussissent pas mal, merci. Ainsi, la société pétrolière Exxon qui a payé quelque $15 milliards d’impôts dans les pays où elle extrait du pétrole, a reçu $45 millions de remboursements du fisc américain, grâce aux déductions fiscales prévues par la loi américaine. Mobil et Chevron sont à la même enseigne, General Electric et la bien-aimée Bank of America, toutes deux en perte, ont récupéré respectivement $1,1 et 2,8 milliards aux Etats-Unis (2).

Ne nous en faisons donc pas pour les riches, et venons-en aux autres, par exemple aux agriculteurs français, qui vont être assujettis à une taxe sur les semences qu’ils produisent eux-mêmes, ce qui ne tardera guère à se répandre dans l’ensemble de notre si belle Union Européenne (UE). C’est juste une petite taxe pour aider Monsanto, le spécialiste de la biologie végétale.

En effet, un règlement de juillet 1994 du Conseil de l’UE (3) avait préparé le terrain il y a près de 20 ans, mais le règlement n’avait pas été (trop) appliqué. Comme tout règlement de l’UE, il est incompréhensible et il faut un juriste-agronome, connaissant au moins 23 langues (24 avec le croate) pour le traduire. En substance, ce règlement sur la protection des « obtentions végétales » (je vous avais prévenus que c’était incompréhensible, et ce, dès le titre ; dans mon Petit Robert, on parle d’obtention d’un visa, d’un diplôme, d’une température, pas d’un végétal, et encore moins de la femelle d’un végétal, une végétale).

En clair, et grâce à une article du Monde (4), voici ce dont il s’agit : Les semences de ferme sont légalisées (légaliser une semence, il faut le faire !) à condition de verser une rémunération aux titulaires des entreprises de semenciers, « afin, dit le règlement européen, que soit poursuivi le financement des efforts de recherche et que les ressources génétiques continuent d’être améliorées ». On punit ainsi les agriculteurs qui produisent leurs semences au lieu d’acheter celles que produit par exemple Monsanto, et dont les « rejetons » sont stériles. Donc il faut en racheter chaque année. C’est ce en quoi consistent les « efforts de recherche et l’amélioration des ressources génétiques» du règlement européen.

Et si on faisait ça avec d’autres biens ? Il va de soi que le beurre, la viande et le lait produits et consommés par le fermier doivent être taxés. De même que le travail domestique. Celui de l’homme quand il prépare le repas. Celui de la femme quand elle remplace une ampoule défaillante. Celui de l’enfant pendant qu’il fait ses devoirs. Ben oui, s’il fallait acheter tout ça, on devrait aussi payer : une bonne (ou un bon) pour cuisiner, un(e) électricien(ne) pour remplacer une ampoule, un(e) ingénieur(e)-mathématicien(ne)-linguiste-qui-écrit-sans-fautes pour faire les devoirs du petit. Tout ça fera pas mal de TVA et d’impôts sur leurs revenus.

En fait, l’auto-production des semences doit être taxée pour permettre à Monsanto d’améliorer les semence. Quant au travail domestique, c’est de la fraude fiscale. Donc, quand je propose de taxer tout ça, c’est finalement une bonne idée : elle devrait permettre de sortir nos états du marasme et sauver les banques de celui dans lequel elles nous ont tous mis.

(1) Mon compère bloggeur me fait remarquer que ce qui compte c’est l’imposition totale d’un bien et pas la cascade. Je comprends cela bien sûr, mais il faudrait alors complètement réformer l’imposition et n’avoir plus qu’un type d’impôt qui impose chaque bien ou groupe de biens, ou tout simplement les revenus. C’est ce que proposent C. Landais, T. Piketty et E. Saez dans leur ouvrage Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le 21e siècle. Voir http://www1.revolution-fiscale.fr/Pour_une_revolution_fiscale.pdf

(2) Voir http://money.cnn.com/galleries/2010/news/1004/gallery.top_5_tax_bills/2.html

(3) Règlement (CE) No 2100 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales. http://eur-lex.europa.eu/Notice.do?mode=dbl&lang=en&lng1=en,fr&lng2=bg,cs,da,de,el,en,es,et,fi,fr,hu,it,lt,lv,mt,nl,pl,pt,ro,sk,sl,sv,&val=302956:cs&page=1&hwords=

(4) Le Monde en Ligne du 29 novembre 2011. Merci a S.G. d’avoir attiré mon attention sur le problème des semences.

vendredi 9 décembre 2011

De Viris Illustribus

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Victor Ginsburgh

Ceux qui ont fait du latin durant leurs études secondaires se rappelleront qu’il s’agit du titre d’un ouvrage en latin (apocryphe, puisqu’écrit au 17e siècle par un certain Abbé Lhomond) qui voulait conter l’histoire des hommes (vir, -i) les plus illustres de la Rome ancienne. Désolé pour les femmes (mulier, -is). Il y en a, sauf erreur, une seule qui peut prétendre au rôle, c’est la mère de Remus et Romulus. Et encore, elle a abandonné ses rejetons, tous deux recueillis et nourris par une brave louve. Mais ceci est une autre histoire.

Celles et ceux dont il est question ici sont nos célèbres hommes et femmes, parlementaires européens, -éennes, et de leurs collègues français, -çaises, américains, -caines et belges, -es.

Aux députés européens l’honneur de commencer la parade. Chacun d’eux semble avoir un salaire mensuel de € 7 339, auquel il faut ajouter une indemnité forfaitaire de € 3 980 et une « prime » de € 284 quand ils nous font le plaisir d’assister à une séance du Parlement. Ce qui leur fait un petit viatique de € 14 727 par mois, dont 12 fois € 284 s’ils assistent à 12 séances. Mais, en réalité, pourquoi assister aux séances ? Il suffit de s’inscrire en arrivant très tôt le matin, et puis de disparaître avec sa valise à roulettes parce qu’il y a tout de même plus important à faire. C’est ce qu’illustre la vidéo suivante, filmée au Parlement européen à Strasbourg par un journaliste allemand, qui a fini par se faire expulser par le personnel de sécurité dudit Parlement. Voici la vidéo (1) qui montre d’ailleurs que les Grünen (Verts en Allemagne) ne se comportent pas mieux que les autres :

http://dotsub.com/view/01ad2718-073c-474a-ac40-c7a72e199d55

Faut dire qu’on les comprend, surtout s’ils sont obligés de s’occuper des concombres qui doivent « être assez bien formés et pratiquement droits : hauteur maximale de l'arc, 10 millimètres pour 10 centimètres de longueur du concombre (2) », qui dit mieux ? Un document de cinq pages sur les cucurbitacées qui doit être traduit dans chacune des 23 langues de l’Union.

Les députés français font la chose autrement, mais, malgré ce qu’on aurait pu attendre de la Fraaance, pas plus élégamment. Comme vous le savez certainement, et alors que le pays est sujet à des difficultés budgétaires, les parlementaires de gauche comme de droite ont « radicalement » refusé de voir leurs indemnités de député être réduites de 10%. Le président du group UMP, Christian Jacob, était spécialement entré en séance au moment du vote. Dans un très beau geste (!), les socialistes se sont abstenus, à l’exception, cependant, du rapporteur spécial Jean Launay (PS) qui s’exprimait à titre personnel pour expliquer que cet amendement avait « un caractère d'affichage sinon de gadget » mais « pas de pertinence sur le plan politique » (3). Sans compter qu’ils ont des pensions de retraite et des frais de secrétariat qui font rêver. Les frais aussi bien que les secrétaires...

Ce qui nous amène aux membres du Congrès américain, qui sont plus vicieux encore. Ils ont le droit d’acheter et de vendre des actions, et de procéder à des transactions immobilières pendant qu’ils planchent sur des projets de loi relatifs à ces actifs. Ils ne sont donc pas condamnables sur le plan légal, et en profitent bien. L’ancienne présidente de la chambre, la démocrate Nancy Pelosi et son époux ont acheté des actions à un moment où il aurait été impossible de le faire pour un non-initié. Le sénateur John Kerry (candidat démocrate malheureux contre le valeureux George W.) et son épouse, Madame Heinz 57 varieties (y compris des concombres aigre-doux à la mesure de ceux requis par l’Europe) ont acheté des actions de firmes pharmaceutiques pendant que le Congrès débattait du projet Obama relatif aux soins de santé, comme l’a fait d’ailleurs John Boehner, député républicain. Le républicain Spencer Bachus s’est activé sur les marchés en achetant et en vendant des options après que Bernanke, gouverneur de la Fed (Banque centrale américaine) ait réuni en 2007 un comité très restreint (dont Bachus faisait partie) auquel il a expliqué qu’une « fonte du système financier » (a meltdown in the global financial system) était imminente. Et ils sont loin d’être les seuls… (4). Il s’ensuit que nombreux sont ceux qui négligent complètement leurs électeurs dès qu’ils arrivent au « pouvoir ».

Quant aux parlementaires belges, ils n’ont pas eu grand chose à faire lors des 550 jours sans gouvernement, si ce n’est à écouter le président Dehaene se lamenter sur sa propre gestion de Dexia, tout en acceptant sans doute son parachute doré, prime de son savoir-faire qui a mis la banque en faillite.

Vous me direz que tout ça est très poujadiste. Tant pis, il fallait que je l’écrive, et il vaut mieux que vous le sachiez si vous l’ignoriez.

(1) Pour laquelle je remercie André Sh. La vidéo est hélas en Allemand, mais est sous-titrée en Anglais. Les deux langues les plus parlées dans l’UE. On m’a dit que la vidéo pouvait être un « faux ». Mais elle pourrait aussi être un « vrai ». Plus rien ne m’étonne.

(2) Voir sur http://admi.net/eur/loi/leg_euro/fr_388R1677.html, Règlement (CEE) n° 1677/88 de la Commission du 15 juin 1988 fixant des normes de qualité pour les concombres.

(3) Voir Le Figaro du 14 novembre 2011

http://www.lefigaro.fr/politique/2011/11/14/01002-20111114ARTFIG00615-les-deputes-refusent-de-baisser-de-leurs-indemnites.php

(4) Newsweek du 21 novembre 2011, pp. 32-37.

http://www.thedailybeast.com/newsweek/2011/11/13/peter-schweizer-s-new-book-blasts-congressional-corruption.html

Christine à Washington, Elio au Lambermont

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Pierre Pestieau

De l’avis de beaucoup DSK fut un excellent Directeur du FMI. Bien meilleur que ses deux pâles prédécesseurs. Pour le remplacer, c’est Christine Lagarde qui a été désignée par un hasard de circonstances. Les Français trouvaient important d’avoir une française a Washington et de nombreux Européens préféraient une Française à un ressortissant du Tiers-Monde pour régler la crise des pays rassemblés sous le sigle de GIPS (pour Grèce, Irlande, Portugal and (E)spagne) (1). En Belgique Elio Di Rupo sera notre prochain premier ministre à la grande joie des francophones. Et si l’accouchement aura été long, la joie en sera d’autant plus grande.

Dans ma posture de rabat-joie, je ne peux m’empêcher de me demander si ce sont là de bonnes nouvelles pour les populations concernées. Les Français ont-il intérêt à monopoliser la direction du FMI ? Les Belges francophones ont-ils intérêt à voir un des leurs diriger un pays à majorité flamande ? Pour répondre à ces questions, il faut distinguer deux éléments : la compétence des personnes et leur appartenance nationale. En l’occurrence, Mme Lagarde est sans doute moins armée que ne l’était son prédécesseur pour traiter des sujets brûlants ; elle est juriste et non pas économiste. A priori on ne peut pas dire qu’Elio Di Rupo soit moins compétent que ne l’était son prédécesseur. Son handicap est sans doute de ne pas maîtriser le néerlandais.

Même à compétence égale, doit-on se réjouir de voir un compatriote à la tête d’une organisation internationale ? Doit-on se réjouir de voir un habitant de sa région diriger le gouvernement fédéral ? Deux raisons pour répondre par la négative. La personne concernée peut, par souci de neutralité, pratiquer le favoritisme à rebours ; elle pourrait de ce fait se conformer à la fameuse prescription selon laquelle « la femme de César doit être irréprochable !». Autre raison, les populations évincées pourraient mener la vie dure à celui qui a d’une certaine manière usurpé son poste.

Le Belgique a connu cela lors du bref mandat en 1974 d’Emile Leburton, dernier wallon à occuper le poste de premier ministre en Belgique. Rien ne lui fut pardonné. Edith Cresson, première femme à diriger un gouvernement français, a subi un sort analogue. On peut conjecturer que si la France avait besoin d’une faveur de la part du FMI, cela pourrait être plus difficile aujourd’hui.

Certes on ne peut généraliser. Dans des pays ou des organisations où la gouvernance est défaillante et où la corruption et la prévarication sont des pratiques quotidiennes, avoir un des siens aux commandes peut s’avérer précieux. Une des caractéristiques des régimes autocratiques est l’enrichissement outrancier des amis et de la famille des dirigeants. Cela s’est vu récemment en Tunisie à l’occasion du « Printemps de jasmin » et de la chute de la maison Ben Ali. Mais ceci est une autre histoire. On peut penser que tant la Belgique que le FMI ne relèvent pas de ce cas d’école

(1) Ceci se passait en été. Depuis on parle de GIIPS avec l’Italie comme membre de ce prestigieux club, dont l’existence donne bonne conscience aux véritables fauteurs de crise. Pourquoi pas bientôt le GIBIPS ou le GIFIPS ? Plus on est de fous…

vendredi 2 décembre 2011

Sept milliards de Terriens, et moi, et moi, et moi...

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Pierre Pestieau

Depuis le 30 octobre 2011, nous sommes 7 milliards sur terre. Et ce nombre ne cesse d’augmenter avec 402 000 naissances pour 170 000 décès par jour. Est-ce trop ou trop peu ? Une question difficile. Dans les années 1930, la démographie s’interrogeait sur le concept de population optimale. Elle était alors centrée sur l’Europe et plaidait pour l’eugénisme. On est heureusement loin de cette période sombre. L’Europe ne compte plus que pour un 1/14ème de la population mondiale et son importance démographique ne cesse de décliner. Le passage à 7 milliards a entraîné dans la presse une série de commentaires dont la pertinence était parfois douteuse. Voici quelques exemples de réflexions que ces commentaires suscitent. On verra qu’en démographie les exemples et les contrexemples coexistent joyeusement.

Le monde est surpeuplé

Sans doute, mais comment définir une population optimale ? En fonction des ressources disponibles? Au début du siècle dernier, la terre comptait 1,6 milliard d’habitants. En un siècle, les prix des principales denrées alimentaires n’ont cessé de baisser. Ceci dit, on sait que physiquement la terre ne pourrait supporter ces 7 milliards si chacun d’eux vivait comme le Belge ou le Français moyen.

Une enquête récente menée au Pays Bas (1) révèle que nos voisins du nord ont une vision de la population optimale assez singulière mais qui n’est sans doute pas très différente de la nôtre. En bref ils trouvent que la terre est trop peuplée mais pas les Pays Bas et encore moins la collectivité urbaine dans laquelle ils vivent. C’est un manifestation du classique NIMBY (not in my backyard/ pas dans mon jardin). Cela rappelle le propos de Michel Debré qui se disait favorable au contrôle des naissances pour l’Ile de la Réunion (dont il était le député) mais pas pour la France métropolitaine.

Une croissance démographique rapide contribue à maintenir les pays pauvres dans leur pauvreté

La Corée du sud et Taiwan ont connu de 1960 a 1980 une explosion démographique de 50%, accompagnée d’une économie florissante (croissance annuelle de 7%). Au cours du siècle dernier, le revenu par tête y a quintuplé alors que la population quadruplait sur l’ensemble de la planète.

Force est cependant d’admettre qu’aujourd’hui la population croît le plus dans les pays les plus pauvres.

La politique de l’enfant unique explique le miracle chinois

Il existe en effet une corrélation entre les deux réalités. De là à y voir une relation de cause à effet, il y a un pas qu’il faut éviter de franchir, et ce d’autant plus que cette politique va entraîner en Chine un phénomène de vieillissement sans précédent, et le problème du financement des retraites qui ne manquera pas de suivre. Ella a aussi créé un surplus d’hommes qui ne pourront pas se marier (2). Ajoutons qu’à y regarder de près, l’évolution de la fécondité en Chine n’est pas différente de celle des autres pays de la région qui n’ont pourtant pas suivi la même politique antinataliste.

Là où la population décroît, l’économie décline

Ici aussi les contrexemples sont aussi nombreux que les exemples. L’Irlande a vu sa population passer de 8,3 à 2,9 millions pendant la période 1840-1960. Pendant cette même période le revenu par tête y a plus que triplé. La Bulgarie et l’Estonie viennent de connaître une baisse de leur population de plus de 20% depuis la chute du Rideau de Fer et leur richesse a augmenté de plus de 50%. L’économie allemande est bien plus dynamique que l’économie française, alors que la population allemande décline.

La population mondiale comptera 10 milliards d’habitants à la fin du siècle

Rien n’est moins certain. Ce chiffre provient d’une extrapolation simpliste qui peut être infirmée. Il représente la prévision moyenne des Nations Unies. Selon la prévision élevée, la population dépasserait les 15 milliards et selon la prévision basse, elle tomberait à 6,2 milliards.

Même si la démographie se prête à des prédictions plus robustes que l’économie, la prudence s’impose dès lors que l’on dépasse le terme d’une génération, soit une trentaine d’années. Ajoutons pour conclure, et c’est d’une certaine manière rassurant, qu’il est difficile d’expliquer les variations de fécondité et encore plus difficile pour un gouvernement de la contrôler comme il peut contrôler la fiscalité ou la masse monétaire (et encore). On a coutume d’expliquer les rares exemples de fécondité élevée en Europe par des facteurs aussitôt remis en cause : la politique familiale pour la France, la religion catholique pour l’Irlande et les crèches pour la Suède.

(1).Voir http://voxeu.org/index.php?q=node/7179

(2). Alors qu'en l'absence de discrimination, il naît 105 garçons pour 100 femmes, il naît aujourd'hui 117 garçons pour 100 filles en Chine et 111 en Inde. Cet écart s'explique par les avortements sélectifs, les infanticides et le manque de soins dont sont victimes les filles.

D’une dictature à l’autre

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Victor Ginsburgh

« Un état démocratique se prépare pour une bataille existentielle en impliquant tous ses citoyens et en forgeant des alliances internationales. Un état fasciste s’y prépare en supprimant ses adversaires intérieurs, tout en essayant de forger des alliances à l'étranger; un état fasciste et messianique supprime les opposants intérieurs et devient un paria à l'étranger ». Ces lignes sont extraites d’un article intitulé « Israël doit renverser Netanyahou avant qu’il ne soit trop tard », paru le 15 novembre dans Haaretz, le troisième quotidien israélien, plutôt de gauche, mais néanmoins de référence (1).

Des ministres israéliens proposent au Parlement d’adopter une loi limitant, voire interdisant, aux organisations qui défendent les droits de l’homme de recevoir des dons en provenance de l’étranger (2). Le Parlement lui-même vient d’adopter une loi qui, de façon indirecte, permettra d’introduire un juge conservateur à la Cour Suprême (3). Le Parlement suggère aussi de supprimer l’arabe comme langue officielle, alors qu’il est parlé par plus d’un million d’habitants en Israël même (4).

Trois grands pas de plus vers plus de démocratie dans le pays qui a pris l’habitude de s’auto proclamer « la seule démocratie au Moyen-Orient ».

Faut-il rappeler qu’en0 1995 déjà, l’assassin de Rabin (le premier ministre d’Israël, qui voulait faire la paix avec les Palestiniens) a été chauffé par des mois d’incitation intense. Rabin était montré sur des affiches en uniforme d’officier SS. Les groupes religieux le condamnaient publiquement à mort dans les cérémonies quasi médiévales. Les manifestants criaient « Par le feu et par le sang, nous nous débarrasserons de Rabin ». Lors d’une manifestation dans le centre de Jérusalem, un cercueil portant le nom de « Rabin » a été promené, tandis que Netanyahou regardait d'un balcon, en compagnie d’autres dirigeants de la droite. Pas une seule voix importante ni de cette droite ni de la part des religieux ne s’est élevée contre cette campagne meurtrière (5).

« Un jour, pas très éloigné, nous nous réveillerons dans un pays différent, celui qui est en train de se faire. Et ce jour-là, il sera trop tard. Même l’article que j’écris ne sera pas publiable, parce que seules les bonnes nouvelles seront permises … Dans un avenir pas tellement lointain, le paysage urbain aura un aspect différent. Ce qui se passe aujourd'hui à Jérusalem va se jouer, demain, dans l’ensemble du pays. Bus séparés et rues séparées pour les hommes et les femmes. La radio et la télévision ne diffuseront que des voix masculines. Les femmes devront se couvrir la tête. Puis ce sera le tour des hommes auxquels il sera interdit de se montrer rasés ou sans couvre-chef » écrit Gideon Levy dans un éditorial de Haaretz du 13 novembre 2011 (6).

Et pendant ce temps-là, l’armée israélienne détruit les containers d’eau et les puits des Bédouins qui vivent en Palestine occupée, dans la Vallée du Jourdain (7) ; elle rase leurs campements et se prépare à transférer quelque 27.000 d’entre eux de l’endroit où ils vivent pour les installer à proximité de décharges publiques (8) ; les constructions dans les colonies en Palestine occupée (9) et dans la partie arabe de Jérusalem vont bon train, merci.

Israël a « puni » pendant plusieurs semaines les Palestiniens d’avoir osé demander de devenir membre des Nations-Unies, en refusant de leur verser $100 millions d’impôts qui leur sont dus, tout en continuant à menacer qu’en cas d’alliance avec le Hamas, les fonds ne seront plus versés (11).

Pour terminer, et en attendant mieux, le Ministre de la Sécurité Publique craint un nouvel assassinat politique dont Haran Ofrah, une militante du mouvement Paix Maintenant, pourrait être la prochaine victime (12).

Un bien bel alignement de la « seule démocratie du Moyen-Orient » sur les régimes en vigueur dans les autres pays de la région.

P.S. Du 1 au 17 décembre aux Halles de Schaerbeek, Bruxelles : Exposition et films, Breaking the Silence, Des soldats israéliens parlent de l’occupation.

(1) Voir http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/israel-must-topple-netanyahu-before-it-s-too-late-1.395615

(2) Voir http://www.haaretz.com/news/national/israeli-ministers-back-bills-to-limit-funding-for-human-rights-groups-1.395329. On a récemment suggéré que, suite à des pressions venant de l’étranger, Netanyahou était oppose à cette proposition (Haaretz 21 novembre 2011).

(3) http://www.haaretz.com/news/national/knesset-passes-controversial-bills-amid-criticism-of-an-assault-on-israeli-democracy-1.395576

(4) http://www.haaretz.com/print-edition/news/lawmakers-seek-to-drop-arabic-as-one-of-israel-s-official-languages-1.376829. A noter que Moshe Arens, un homme de la droite israélienne qui a été minsitre de la défense et minister des affaires étrangères dans plusieurs gouvernemets, s’est publiquement opposé à cette proposition.

(5) Uri Avnery, YOU are Fed up, 12 novembre 2011.

Voir http://www.informationclearinghouse.info/article29696.htm

(6) http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/a-new-israel-in-the-making-1.395241

(7) http://www.alternativenews.org/english/index.php/topics/news/3898-israeli-army-steps-up-attacks-on-palestinian-water

(8) http://www.btselem.org/settlements/20111010_forced_eviction_of_bedouins

(9) Le ministre israélien du logement vient d’annoncer (mardi 15 novembre) le lancement d’un appel d'offres pour la construction de quelques milliers de logements sur l’ensemble du territoire, dont 2000 appartements au-delà de la Ligne verte (Guysen International, 16 novembre 2011).

(10) http://www.haaretz.com/print-edition/news/academics-rally-behind-ben-gurion-university-prof-fined-for-refusing-idf-duty-1.395823

(11) ) http://www.haaretz.com/news/national/public-security-minister-threat-of-another-political-murder-exists-in-israel-1.397295

(12) http://www.haaretz.com/news/national/public-security-minister-threat-of-another-political-murder-exists-in-israel-1.397295

vendredi 25 novembre 2011

Juste un problème de vocabulaire ?

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Victor Ginsburgh

Un récent article du New York Times (1) compare le vocabulaire utilisé par les politiciens qui décrivaient la crise des années 1930 à celui qu’ils utilisent en décrivant celle que nous sommes en train de vivre.

En 1934, des millions d’Américains sont au chômage et sont forcés de renoncer à leur logement. A l’époque, le Président Roosevelt crée un « Comité de Sécurité Economique », et dans un discours au Congrès, il souligne qu’il place en tête de ses priorités « la sécurité des hommes, des femmes et des enfants de la nation [qui veulent] des logements décents, localisés près des pôles d’emploi, ainsi que des garanties qui les protègent des infortunes qui ne peuvent être entièrement éliminées de ce monde que nous avons fait ». En 1936, paraît l’ouvrage de Keynes Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie et les Etats-Unis se dotent d’un système qui assure des pensions et protège contre le chômage.

En 2010, le Président Obama qui fait face à des circonstances très similaires, crée une « Commission Nationale de Réforme et de Responsabilité Fiscale », qui doit « remédier à la situation fiscale, faire des propositions qui assurent la viabilité à long terme du budget, et mettre un frein à la croissance des « droits » (2). En août 2011, le Congrès décide, non pas d’aider ceux qui sont dans le besoin, mais, dans un langage technocratique et abstrait, de réduire les « droits » et le déficit de $1 500 milliards en dix ans. Que veut dire 1 500 milliards de dollars pour tous ceux qui touchent des revenus de l’ordre de mille dollars par mois, voire moins, et qui n’ont pas la chance d’avoir des parachutes, sûrement pas dorés, mais pas même vaguement colorés ? En 1934, continue l’article, les mots utilisés étaient hommes, femmes, risque que court le bien-être des familles. Aujourd’hui les mots sont budget, réduction des dépenses sociales. Mais il serait injuste de ne pas reconnaître que le secteur public est autrement plus important aujourd’hui.

Dans son ouvrage, The Age of Fracture, l’historien Daniel Rodgers montre combien le discours public américain qui, en 1930, parlait des conditions de vie du citoyen moyen, parle aujourd’hui de préférences et de choix individuels, de théorie de l’agence, de contrats (3): « Le langage sociologique et la culture commune ont été remplacés par le langage économique et l’individualisme ».

Mais peut-être est-ce finalement la faute de Keynes lui-même, qui pensait que les économistes étaient bien meilleurs lorsqu’ils essaient de traiter de petits problèmes comme les dentistes qui examinent une petite partie du corps, mais peuvent quand même nous soulager. Au risque de perdre la vue générale et de nous faire mourir parce qu’ils n’ont pas détecté la gangrène qui menace le gros doigt de pied.

***

J’ai assisté, vendredi dernier, à une conférence à la KUL en l’honneur d’un collègue, professeur d’économie, en partance à la retraite (4). La dernière session était consacrée au futur de l’Union Monétaire Européenne. Elle réunissait six économistes de tous bords et un homme politique. Ce panel comptait deux belges, trois anglais, et deux allemands, des personnalités bien plus éminentes que le Super-Mario de mon blog de la semaine dernière. Presque sept avis différents allant de « il faut tout faire pour éviter que la Grèce et l’Italie quittent la zone euro », jusqu’à « il faut laisser les marchés ‘punir’ ces deux pays, et peut-être d’autres qui suivront », en passant par « c’est la faute des hommes politiques » qui, à tort, ont voulu l’Union Monétaire avant l’impossible union politique—ce qui est certainement une raison très vraisemblable. A terme nous en serons les victimes. En attendant, tous les pays s’accordent pour se serrer la ceinture, ou plutôt celles de leurs administrés, ce qui risque de conduire à une crise du style des années 1930. Sans aucun doute le plus mauvais commun dénominateur, concluait un des sept panelistes … un de plus libéraux.

Ce n’est ni très rassurant, ni très agréable d’être économiste aujourd’hui…

(1) T. Marmor and J. Mashaw, How do you say ‘Economic security’, The New York Times, September 23, 2011.

(2) Ou plutôt « droits acquis », ce qui traduit mieux le terme anglais « entitlements » de l’article du NYT.

(3) On assiste aujourd'hui à la banalisation du concept de responsabilité et de mérite. On parle de pauvres ou de chômeurs méritants, ce qui décharge la collectivité de ses responsabilités.

(4) Retraite due à la règle belge « la retraite à 65 ans », que l’on soit bon ou médiocre. En fait, il ira enseigner à Londres dans un des meilleurs établissements d’enseignement supérieur au monde.

Les conseilleurs ne sont pas les électeurs

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Pierre Pestieau

Entre la théorie et la pratique, il y a plus que la distance entre Washington et Bruxelles. En discutant avec des économistes du FMI, ceux-là mêmes qui proposent des réformes fiscales au gouvernement belge, cela m’est apparu évident. Témoins, trois recommandations (à propos des intérêts notionnels, de l’uniformisation de la TVA et des impôts fonciers) qui théoriquement sont raisonnables, mais qui sous un certain emballage technocratique peuvent être mal perçues et avoir des conséquences désastreuses.

Commençons par les intérêts notionnels (1). Dans tous les séminaires de finances publiques portant sur l’imposition des sociétés, la Belgique est louée pour cette mesure qui fait pourtant débat. L’idée en est simple ; il s’agit de réduire la discrimination fiscale pratiquée universellement entre le financement avec capital emprunté et le financement avec capital à risque. En effet, dans le cas de fonds empruntés, l’intérêt payé est déductible de la base imposable alors que dans le cas de fonds propres, les dividendes ne le sont pas, et sont par conséquent taxés deux fois, une première fois dans le chef de l’entreprise qui les distribue, et une deuxième fois dans celui qui les perçoit. Les intérêts notionnels sont donc une idée honorable qui veut accroître l’efficacité du système et ne doit pas nécessairement entraîner une réduction de l’impôt des sociétés. Il suffit de relever le taux statutaire pour que l’opération soit blanche. Malheureusement, l’introduction des intérêts notionnels a été ressentie par une majorité des Belges comme une nouvelle tentative, sournoise de surcroît, de réduire l’imposition du capital au détriment de celle du travail (2). Les promoteurs des intérêts notionnels ont négligé de distinguer deux aspects : l’efficacité qui est entravée par la discrimination dont bénéficient les capitaux empruntés et l’équité qui requiert que chaque partie paie son dû en fonction de ses capacités contributives.

L’uniformisation de la TVA au taux plein est aussi une mesure est souhaitable à condition d’être accompagnée de compensations au travers de certains programmes sociaux et de l’impôt sur les personnes physiques (IPP). Sans ces compensations, elle soulève de légitimes interrogations quant à sa régressivité. La théorie économique nous enseigne que l’IPP est un instrument de redistribution plus efficace qu’une TVA à taux réduit sur les biens de nécessité, dont même les « riches » bénéficient. Cette proposition requiert cependant que l’IPP soit progressif non pas seulement en théorie mais dans les faits. Pour une progressivité effective, on doit d’abord abolir les niches fiscales qui sont, elles, rarement redistributives.

Enfin, l’impôt sur la propriété foncière. La Belgique semble recourir moins à ce financement que ses voisins. Partant du principe que la pratique de ces mêmes voisins constitue un bon étalon, les experts du FMI estiment qu’il y a là un gisement de recettes fiscales tout indiqué. Sans aucun doute, mais cela exigera de repenser le financement des pouvoirs locaux (région, agglomération dans le cas de Bruxelles et communes) qui lèvent cet impôt. Un financement des communes et des villes davantage basé sur les valeurs immobilières pourrait créer de fortes discriminations au détriment des communes pauvres. Ici aussi l’intention est bonne mais si la mesure n’est pas accompagnée et si elle n’est pas expliquée au citoyen, elle peut entraîner une opposition coûteuse.

Voici trois exemples de mesures fiscales qui sont a priori raisonnables mais qui pour être menées à bien réclament un exercice de pédagogie et un accompagnement qui ne les fassent pas passer pour injustes et donc inacceptables. Nous vivons une période de disette budgétaire et d’inégalités sociales. L’un et l’autre problème doivent être gérés avec discernement.

(1) En anglais on parle de ACE (adjusted current earnings), terme plus approprié puisque nous sommes les as de l’imposition des sociétés.

(2) Quand on lit les déclarations officielles défendant les intérêts notionnels, on est frappé par la confusion des arguments.

vendredi 18 novembre 2011

Au nom de la transparence

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Pierre Pestieau

Que de débats sur la transparence, qui est souvent perçue comme une vertu. Elle peut être un facteur de démocratie comme ce fut le cas de la « glasnost ». Elle est considérée comme un vecteur essentiel dans une économie vraiment libérale. Dans un ouvrage récent (1), la transparence est présentée comme la panacée du capitalisme financier ; mais comme souvent dans ce type de livre à thèse, il s’agit d’une transparence sélective. En réalité, trop de transparence peut être nuisible. Après tout, les tentures de nos habitations servent à préserver notre intimité et à limiter en quelque sorte un excès de transparence. Sans entrer dans le débat sur les éventuels excès de Wikileaks, je voudrais prendre deux exemples où trop de transparence peut être préjudiciable. Ils mettent en jeu le couple, le couple homme/femme traditionnel et le couple Flamand/Wallon.

Il est frappant de comparer la répartition des tâches ménagères telle qu’elle apparaît dans des enquêtes et telle qu’on la découvre dans des micros trottoirs. Les enquêtes régulières de l’INSEE (Institut National de Statistique en France), nous apprennent qu’au sein du couple la femme continue d’assurer l’essentiel des tâches domestiques, qu’elle ait ou non une occupation professionnelle. En revanche, quand elles sont interviewées de manière informelle, les femmes aiment à dire que leurs maris ou compagnons participent amplement à ces tâches. La série télévisée américaine Madmen, qui a pour cadre le New York publicitaire des années 1960, utilise jusqu’à la caricature deux caractéristiques de cette époque : le tabagisme et la femme au foyer. Imaginons que dans les couples modernes, un compteur puisse mesurer avec précision l’implication de l’homme et de la femme dans le travail ménager. Apparaîtrait alors, sur ce compteur situé entre l’horloge de la cuisine et le thermomètre, et en toute transparence, l’hiatus entre la croyance et la réalité ; il est vraisemblable que l’on assisterait à des tensions ingérables dans le couple. Ici comme dans d’autres domaines, l’impressionnisme est sans doute souhaitable.

Venons-en à la relation entre les deux principales régions belges (2). Il y a moyen d’organiser l’impôt sur les personnes physiques (IPP) de trois façons : un barème unique et des transferts implicites entre les régions, qui est le régime sous lequel nous avons vécu jusqu’ici ; des barèmes régionaux qui pourraient être différents, sans transferts entre régions, ce qui serait inefficace, parce que la perte subie par la Wallonie serait supérieure au gain du côté flamand ; et enfin, des barèmes régionaux différents, accompagnés de transferts explicites de la Flandre vers la Wallonie. Cette solution est sans conteste la meilleure. Par rapport au système actuel de barème unique, qui génère des transferts nord-sud implicites, tout le monde s’en trouverait mieux. Et pourtant…

En rendant explicite la « dépendance » d’une région par rapport à l’autre, on ouvre la porte à la remise en cause du couple national. Tant que tout va bien, pas de problème. C’est d’ailleurs le cas de la plupart des pays qui connaissent des transferts interrégionaux plus importants que les nôtres. Mais à la moindre étincelle, le feu de la discorde risque de mener au divorce. Ce risque n’est bien sûr pas limité à notre pays. Le problème dont il est question ici est celui du tagging (marquage, identification) ; il se pose dès lors qu’une société peut être segmentée en sous-groupes entre lesquels, pour des raisons de langue, de couleur, de taille, de culture ou de religion, il y a peu de mobilité. S’il y avait mobilité entre ces sous-groupes, tout avantage donné aux travailleurs qualifiés d’un sous-groupe entraînerait un afflux des travailleurs qualifiés appartenant à l’autre sous-groupe jusqu’à la disparition de l’avantage. La Belgique est caractérisée par une mobilité limitée entre ses différentes régions. En gardant un IPP fédéral, elle évite une remise en compte des transferts implicites qui, par définition, ne pouvent pas être explicités avec précision. Si l’on adopte des barèmes fiscaux différents, on opère une démarche souhaitable du point de vue de l’efficacité économique mais uniquement si cette opération est accompagnée par des transferts explicites d’une région à l’autre. Il est sans doute trop tard pour le couple belge ; mais la leçon peut servir à d’autres.

(1) Voir à ce sujet Augustin Landier et David Thesmar, La société translucide : pour en finir avec le mythe de l'État bienveillant, Paris : Fayard, 2010.

(2) Pour des raisons de clarté, je fais l’impasse sur Bruxelles et sur la communauté germanophone.

Super-Mario, éminent économiste italien

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Victor Ginsburgh

La presse de ces derniers jours a beaucoup qualifié d’« éminent » ou de Super-Mario, un certain Mario Monti, nouveau Président du Conseil italien, ministre de l’Economie et ancien commissaire européen. Il y a beaucoup d’économistes éminents, aussi bien parmi les morts, que parmi ceux qui, comme nous, vivent encore et Dieu sait combien la situation dans laquelle ils nous ont fourgués les a rendus éminents. Mais proclamer que Super-Mario est éminent est plutôt paradoxal.

Lorsqu’il était commissaire européen, il a contribué à l’introduction dans l’Union Européenne du droit de suite (DS). Ce droit réserve à l'artiste (et surtout à ses ayants droit, jusqu’à 70 ans après son décès) une partie (3 à 5%) du prix de vente lorsque ses œuvres originales (peintures, sculptures, multiples, vidéos, etc.) sont revendues en vente publique. Le prétexte à son introduction vient du bon (mais, aujourd’hui, peu vérifié) sentiment que l’artiste est en position de faiblesse lorsqu’il négocie avec la galerie ou le marchand et pourra, grâce au DS, et pour autant qu’il vive encore (1), récupérer une partie de son dû, lorsque ses œuvres seront revendues à gros prix chez Christie’s ou Sotheby’s.

Ce que tout économiste admettra dès sa première année à l’université, même s’il n’est pas éminent, c’est que le prix de la première vente, grevée par le DS futur, s’ajustera à un niveau plus faible que celui qui prévaudrait sans DS. La raison est simple. Le DS impose une contrainte sur les transactions futures qui se traduit par une réduction des prix lors de la première vente par l’artiste. En effet, les acheteurs anticiperont la contrainte et ne seront pas prêts à payer le « prix plein » puisque le DS pèsera sur les prix futurs et rendra la revente plus difficile. C’est comme une maison avec servitude qui se vendra moins cher que la même maison sans servitude.

On peut donc s’attendre à ce qu’un jeune artiste qui calcule mieux que Super-Mario préfèrera la valeur immédiate plus élevée que son œuvre aurait en l’absence de DS, plutôt que d’investir avec l’espoir (assez mince, d’ailleurs) que son œuvre se revendra chez Christie’s dans quelques années.

Du fait que le prix de la première transaction entre l’artiste et son acheteur diminue, certains artistes qui auraient embrassé la carrière seront découragés et se tourneront vers d’autres possibilités : trader, professeur d’économie, ministre des affaires économiques, ce qui pourra sans doute provoquer une nouvelle crise, mais difficilement contribuer à l’augmentation de la production artistique.

Or, que dit Super-Mario ? Il dit : « Le droit de suite contribuera de façon décisive au développement de l'art moderne en Europe » (2). Un manque élémentaire de rigueur économique, qui n’a d’ailleurs pas manqué d’être repris dans la plupart des pays de l’UE, comme en Belgique, par son ministère des affaires économiques. Le titre du communiqué de presse qui faisait part de la bonne nouvelle aux futurs artistes belges annonçait : « Jeunes artistes ? Le droit de suite assure votre avenir » (3).

Super-Mario, qui a aussi été professeur de science économique à Turin et à Milan, a fait là une erreur de raisonnement qui serait de nature à le voir échouer à l’examen de première année qu’il ferait subir à ses propres étudiants. Espérons qu’il fera mieux en tant que Président du Conseil italien et ministre de l’Economie. Ce qui ne devrait pas être trop difficile après Bunga-Bunga-Silvio.

(1) Ce qui est rare. On a pu montrer qu’exception faite du top 50, les artistes vivants dont les œuvres sont revendues dans des ventes publiques (il faut qu’ils soient déjà très célèbres pour que cela arrive) perçoivent plus ou moins mille euros par an de DS et que la grande partie du DS collecté est versée aux ayants droit des artistes décédés. Forcément, le DS est payé pendant les 70 ans qui suivent le décès de l’artiste. Voir Victor Ginsburgh, Droit de suite, in R. Towse, ed., A Handbook of Cultural Economics, Cheltenham: Edward Elgar, 2011.

http://www.ecares.org/ecare/personal/ginsburgh/papers/176.%20towse.pdf

(2) Voir Suzanne Perry, Artists should benefit when works sold, EU says, Reuters REU2348 3 OVR 365 (ECR EEC GB LIF NEWS) F1301225, March 13, 1996.

(3) Communiqué de Presse, SPF Economie, P.M.E., Classes moyennes et Energie, site web: http://mineco.fgov.be/press_releases/press_releases_pdf/press_release_31102007_fr.pdf

vendredi 11 novembre 2011

Us et coutumes de la SABAM, une fois encore

3 commentaires:

Victor Ginsburgh

La SABAM (Société Belge des Auteurs, Compositeurs et Editeurs) ne recule devant rien et fait flèche de tout bois, que ce soit illégal ou légal.

La dernière histoire vient de m’être racontée par Charlotte M. qui s’occupe d’un orchestre dans le Brabant wallon. Elle a reçu il y a quelque temps une facture de la SABAM lui demandant de payer 8000 € de droits d’auteur pour des œuvres produites mais qui n’avaient pas encore été déposées auprès d’une société d’auteurs. Article 21 de ladite SABAM (1) : les œuvres non déposées ne donnent pas lieu a perception. La justice a été saisie de la question et le jugement qui vient d’avoir lieu a évidemment donné tort à la SABAM.

Il y a quelques mois, la SABAM a longuement expliqué qu’elle allait faire un geste et ne pas demander de droits d’auteur aux organisateurs du concert qui a été annulé suite aux intempéries et aux morts au Pukkelpop (2). Générosité ? Non, mensonge, parce que s’il n’y a pas de concert, il n’y a pas de « communication au public » des œuvres protégées, donc la SABAM n’a aucun droit de collecter des droits d’auteurs. Merci C.K.

Dans la vidéo édifiante qui suit, la SABAM est montrée facturant, début 2011, des droits d’auteurs pour rémunérer plusieurs groupes qui n’existent pas :

http://www.rtbf.be/video/v_fraude-de-la-sabam-la-societe-des-auteurs-compositeurs?id=748573&category=info

Certains autres actes de la société ont été suivis d’inculpations pour fraude en 2007 (3), à des soupçons de fraude en 2005 (4), à des critiques du gouvernement sur l’opacité de sa gestion en 2002 (5), à une condamnation pour abus de position dominante dans sa politique de prix en 2001 (6), etc. L’imagination est au pouvoir et il faut lui reconnaître qu’elle essaie de s’en sortir par tous les moyens dans lesquels l’illégalité et le mensonge triomphent.

Mais la société n’hésite pas non plus à utiliser des moyens « légaux », dont un appel au secours adressé aux hommes politiques. En cause, non, pas comme vous pourriez le penser, le « pillage » par ces pirates d’internautes (7). Cette fois, c’est la faute des fournisseurs d’accès à l’internet (8). En effet, selon le directeur général de la SABAM « on assiste année après année à une dégringolade de notre chiffre d'affaires et elle est quasiment exclusivement due au fait que les CD ne se vendent plus (…) nous ne percevons plus de droits sur les CD et nous en appelons constamment à une action au niveau politique, au niveau législatif pour essayer de contrer ce gros problème. (…) Nous considérons que les fournisseurs d'accès sont devenus les nouveaux distributeurs de musique. Ils se sont emparés d'un marché qui était, avant, une distribution matérielle de supports (…) et donc nous pensons qu'effectivement ils posent un acte qui est soumis aux droits d'auteurs ». Au secours !

La SABAM se prend pour une entreprise qui peut faire appel au politique et au législateur dès que son chiffre d’affaires et ses profits diminuent. En 2010, près de 10.000 entreprises belges ont fait faillite. Ont-elles pu faire appel à l’aide de l’Etat ? Les situations changent, et quand on ne s’adapte pas aux situations parce qu’on est protégé par la position de monopole sous laquelle on s’abrite, on risque en effet de finir mal. Il est facile de mendier quand on a mal prévu, mal géré, été accusé de fraudes diverses, d’opacité de gestion, d’abus de position dominante, et de non-respect de son propre règlement.

Il est temps de repenser le droit d’auteur. Et de contrôler beaucoup plus sérieusement et plus fermement les sociétés qui le gèrent avec autant de légèreté (9).


(1) « Afin de permettre la perception et la répartition des droits, la déclaration de toutes les œuvres éditées est obligatoire. Si lœuvre n'est pas éditée, sa déclaration est laissée à l'appréciation de l'ayant droit. Celui-ci ne pourra cependant prétendre à quelques répartitions que ce soit pour une période antérieure à la déclaration. »

(2) Le Soir du 25 août 2011 Voir http://www.lesoir.be/culture/musiques/2011-08-25/la-sabam-ne-demande-pas-d-argent-au-pukkelpop-858424.php

(3) Voir http://archives.lesoir.be/inculpations-pour-fraude-a-la-sabam_t-20071026-00DHEP.html

(4) Voir http://msmvps.com/blogs/xpditif/archive/2005/03/04/37547.aspx

(5) Voir http://archives.lesoir.be/la-sabam-se-fait-taper-sur-les-droits-medias-le-conseil_t-20020720-Z0M331.html

(6) Voir http://www.droit-technologie.org/actuality-415/la-societe-d-auteur-sabam-condamnee-pour-abus-de-position-dominante.html

(7) Aurait-t-elle finalement accepté, comme devraient le faire les producteurs de disques, les conclusions des études économiques faites par les chercheurs universitaires qui depuis des années n’arrêtent pas de montrer que le pillage semble représenter au plus 25% de la réduction des ventes des supports habituels (CDs et DVDs). Pour le reste, c’est le marché qui a changé et les acteurs qui ne se sont pas adaptés à ces changements. Voir par exemple Oberholzer-Gee, Felix and Koleman Strumpf (2007), “The effect of file sharing on record sales: An empirical analysis,” Journal of Political Economy 115(1): 1-42 et Zentner, Alejandro (2006), “Measuring the effect of file sharing on music purchases,” Journal of Law and Economics 49(1): 63-90.

(8) Voir http://www.rtbf.be/info/economie/detail_les-cd-ne-se-vendent-plus-la-sabam-perd-de-l-argent?id=6231453

(9) Et la Belgique n’est pas seule dans le cas. La SACEM, sœur jumelle de la SABAM qui sévit en France, a été sermonnée par le Ministre de la Culture à l’Assemblée Nationale (22 décembre 2010). En cause, « la justification des frais de gestion et les coûts de structure invraisemblables ». Plusieurs mois plus tard, la mission chargée d’examiner les comptes n’a toujours pas été lancée, et ne le sera probablement jamais. Bravo M. Frédéric Mitterand.