dimanche 27 mars 2011

BHL et la guerre de Libye

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Victor Ginsburgh

C’est incompréhensible. Seule la Belgique a perçu correctement le personnage en l’entartant à plusieurs reprises. Un vrai régal, voyez les images sur You Tube. Le Gloupier, au secours, où êtes-vous ?

Bernard-Henri Levy aurait de nouveau « frappé » fort en persuadant, selon Le Figaro en tout cas, son grand ami de gauche, Nicolas Sarkozy, d’intervenir en Libye (Dans la suite, j’utiliserai, pour épargner un peu de place et de salive, le raccourci BHL comme on le fait pour Yehovah ou Yavé en écrivant YHVH, encore que le personnage BHL pourrait aussi mériter le nom d’Adonai, le Seigneur).

Les « frappes » sur la Libye, grâce à BHL. Tout ça, après avoir loupé son film sur la Yougoslavie ; loupé son livre sur Daniel Pearl tué au Pakistan, mais dont la femme, Marianne Pearl a récusé ce que BHL écrivait sur lui (« Un homme dont l’ego détruit l’intelligence », écrit-elle) ; loupé de s’apercevoir que le texte du philosophe Botul sur Kant qu’il utilise dans un de ses livres était un canular – parce que ledit Botul, philosophe, comme BHL soi-même n’existait pas, mais a été invente par Frédéric Pagès, journaliste au Canard Enchaîné ; loupé d’expliquer que son père André Levy, et lui par la suite, ont été des esclavagistes gérant, en Côte d’Ivoire, une entreprise d’exploitation de bois, dont les ouvriers étaient payés avec retard et de façon irrégulière (1), entreprise qui a finalement été vendue à son grand ami François Pinault, autre gauchiste et nouveau philosophe de choc ; et le voilà de nouveau comme si rien ne s’était passé, passant le 24 mars au JT de France 2.

Mais comme le dit son alter ego Alain Minc « on ne peut pas dire que Wolfowitz [ex-secrétaire adjoint à la défense, chef de file des néocons, un de ceux qui a persuadé Bush d’attaquer l’Irak] et BHL c’est la même chose » (2). En effet, ni l’un ni l’autre ne sont des néocons, parce qu’il faut leur enlever le néo et garder ce qui reste. Alain Minc – dont il faut rappeler qu’il a été condamné en 2001 pour « plagiat », « reproductions servile » et « contrefaçon » littéraire a jugé que BHL est un intellectuel, et « un intellectuel qui ne se trompe guère, c’est rare. En vingt cinq ans, il n’a pas fait une vraie erreur de positionnement. C’est rarissime. Il tombe toujours juste parce qu’il a une espèce de boussole morale qui fait qu’il tombe au bon endroit » (3).

Flatterie que BHL rend bien entendu à son ami Alain Minc, dont le monde belge de la finance se souvient comme ayant servi de tête pensante à Carlo de Benedetti, lors du prodigieux flop de l’OPA lancée sur la Société Générale. Résultat trois milliards de francs de pertes. C’est peu de chose. La preuve, c’est ce que ledit BHL écrit à propos de Minc : « Ce qui « frappe » chez lui [chez Minc s’entend] ce n’est pas seulement le brio, ni la témérité des points de vue. Ce n’est pas l’encyclopédisme des connaissances ni les analyses, quoi qu’on en dise, assez sûres. C’est, dans le « grand jeu » qu’est aussi le paysage intellectuel français contemporain, l’aptitude rare – et, à mon sens, plus remarquable encore – à avoir toujours, comme par méthode, un coup d’avance sur la plupart » (4).

Cher BHL, il y a encore du pain sur la planche. Votre autre ami Avigdor Lieberman vient de suggérer au monde occidental de traiter l’Iran et la Syrie comme vient d’être traitée la Libye (5). Vous qui avez osé écrire de vous-même qu’il fallait « essayer d’être plus malin que les malins. Je suis absolument pour cette façon de pratiquer le métier » (6). Quel beau mâle, quelles belles chemises, quel beau poitrail, et quelle belle chevelure.

(1) Voir Nicolas Beau et Olivier Toscer, Une imposture française, Paris: Les Arènes, 2006. Les deux auteurs sont journalistes, le premier au Canard Enchaîné et le second au Nouvel Observateur.

(2) Le Monde du 22 mars 2011, p. 8.

(3) Emission Vivement Dimanche de Michel Drucker, 11 novembre 2001.

(4) Voir BHL, Questions de principe 5, Biblio-Essais, 1995, p. 80.

(5) Voir Haaretz du 24 mars 2011.

(6) Libération du 24-25 avril 2004.

vendredi 25 mars 2011

Fraude sociale en Wallonie, fraude fiscale en Flandre

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Pierre Pestieau

Le 28 février 2011, la presse rapportait que Carl Devlies, le secrétaire d'Etat à la lutte contre la fraude sociale, attendait quelque cinq millions d'euros de recettes par an de la nouvelle cellule mixte de soutien contre la fraude sociale grave et organisée, qui venait d’être installée officiellement. Ce n’est pas la première annonce du genre ; elle fait écho à d’autres annonces consacrées cette fois à la fraude fiscale. Deux choses frappent dans ces annonces : les chiffres cités, qu’ils s’agisse du montant de la fraude ou des sommes que l’on espère récupérer, ainsi que la répétition des bonnes intentions laissent à penser qu’aucune d’elles n’est jamais suivie d’effet.

Pour mesurer l’étendue de ces deux types de fraude, on ne dispose guère d’éléments solides. Et pour cause. La fraude est, par définition, non observable et seuls des moyens indirects permettraient d’appréhender et les montants et leur encaissement; or ces moyens sont extrêmement coûteux si on veut aboutir à un résultat raisonnable. Mais notre objet est autre.

Chaque fois que l’on évoque la fraude sociale ou fiscale, apparaissent nos bonnes vieilles divisions entre Flandre et Francophonie. Le préjugé le plus ancré veut que les Flamands frauderaient davantage le fisc que les Francophones ; et ce serait l’inverse pour la fraude sociale. La Flandre est en effet plus prospère et il est plus facile d’éluder l’impôt là où l’assiette fiscale est relativement plus large ; mais il y a plus d’allocataires sociaux en Francophonie et le recours parfois abusif à l’assurance/assistance sociale y est moins stigmatisé.

Qu’en est-il vraiment? Ici aussi, il faut bien reconnaître qu’il est difficile d’obtenir des données incontestables. Récemment les Universités de Liège et de Leuven se sont associées pour procéder à ce que les économistes appellent des expériences de laboratoire. Il ne s’agit pas d’observer le comportement plus ou moins frauduleux de souris ou de rats flamands, wallons, voire non belges. Plus modestement, le principe est de prendre des échantillons d’étudiants auxquels on soumet, dans un cadre codifié, une série de questions théoriques visant à appréhender leurs réactions face à la fraude. Des expériences identiques ont été menées en en Flandre (KUL), en Wallonie (ULG), à Lyon et à Maastricht. Les sujets venaient donc de milieux différents et l’on pouvait attendre que, face à des situations identiques, les quatre groupes d’étudiants réagissent de façon différente, en fonction de leurs caractéristiques propres (éthique, aversion au risque, milieu familial) mais aussi en fonction de l’idéologie et des pratiques ambiantes.

Sans entrer dans le détail d’une étude assez complexe, il ressort que les différences de comportement ne sont pas très différentes et que le groupe wallon semble témoigner d’un comportement de civisme fiscal et social au moins aussi élevé que celui des trois autres populations.

Que peut-on conclure ? Cette recherche a certes des limites qui sont propres à l’économie expérimentale. Ceci dit elle a le mérite d’exister, et en l’absence d’autres études, elle est la seule à se prononcer sur la question posée dans le titre : qui des Flamands ou des Wallons fraude mieux et quoi ? Réponse provisoire : les opinions courantes, recueillies dans les « cafés du commerce » et décrites plus haut n’ont guère de fondements.

dimanche 20 mars 2011

Inside Economics et Conflits d’Intérêt

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Pierre Pestieau

Le film Inside Job de Charles Ferguson est un des premiers à révéler l’effarante genèse de la crise économique de 2008. La dépression mondiale, dont le coût est estimé à plus de 20 000 milliards de dollars, a privé des millions de personnes de leur emploi ou de leur maison. A travers des enquêtes approfondies et des entretiens avec des acteurs majeurs de la finance, des hommes politiques et des journalistes, Inside Job dévoile un monde dénué de tout scrupule et expose les relations scandaleuses qui ont corrompu la politique, les autorités de régulation et le monde universitaire.

C’est un film intéressant, captivant pour le profane et souvent irritant pour l’économiste. Le film donne parfois l’impression que la crise aurait pu être évitée si les acteurs avaient été davantage altruistes et moins dogmatiquement libéraux. Un peu comme si la construction d’une enceinte autour des centrales nucléaires aurait pu éviter le drame de Fukushima et les drames à venir. La vérité est que le système économique et surtout financier dans lequel nous vivons a un côté Frankenstein, un monstre que l’homme a créé pour son plus grand profit mais dont le fonctionnement lui échappe de plus en plus.

Ce que je retiens surtout de ce film ce sont quelques images de collègues économistes qui reconnaissent avoir touché des sommes importantes d’intermédiaires financiers. Mis en cause, ils s’énervent jusqu’à en devenir grossiers lorsqu’on leur demande combien ils ont touché et s’il ne serait pas sain de remercier leurs commanditaires dans leurs publications académiques. Quand ils consentent à donner une réponse, elle prend deux formes. C’est du domaine privé et de toute façon, ça n’a rien à voir. Ou bien, c’est l’envie : savoir qu’un collègue double ou triple son revenu annuel peut nourrir une indignation où l’éthique ne joue pas toujours un grand rôle.

Il y a plusieurs décennies, on commençait à découvrir les dangers que faisaient courir le beurre, et plus généralement les graisses animales, aux personnes souffrant de problèmes cardiovasculaires. Le monde agricole a réagi en soulignant que les chercheurs impliqués dans cette campagne étaient financés par le groupe Unilever, grand producteur de margarine. Etait-ce là un mauvais procès ? Non et oui. L’information devait induire plus de circonspection dans l’analyse des résultats. Mais, comme la suite l’a démontré, les résultats se sont avérés corrects. Une situation similaire se produit actuellement dans le monde des médicaments contre la dépression où des professeurs très réputés, y compris de Harvard, sont pris dans des conflits d’intérêt que plusieurs articles du New York Times qualifient d’épouvantables (1).

Quoiqu’il en soit il me semble que citer dans la transparence, c’est à dire éviter les sigles cryptiques, relève d’un sage principe de précaution. Cela ne nous met pas à l’abri d’autres conflits d’intérêt. Il serait, par exemple, souvent plus facile d’interpréter certains travaux scientifiques si l’on connaissait les convictions politiques ou religieuses des auteurs. Mais ceci nous fait clairement entrer dans le domaine délicat de la vie privée.

(1) Voir par exemple http://www.nytimes.com/2008/11/30/opinion/30sun2.html?ref=psychiatryandpsychiatrists

Le Patron des Patrons Belges et les Agences de Notation

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Victor Ginsburgh

Je ne pense pas qu’il faille en dire très long sur le patron des patrons belges, sauf qu’il est le patron des patrons, ce qui le décrit suffisamment (1). Mais quelques mots sur les agences de notation peuvent être utiles. Ces « officines » notent des firmes qui veulent émettre certains types d’obligations en levant des fonds dans le grand public. La notation est faite à la demande de la firme pour évaluer la probabilité de succès (ou de faillite) de leur entreprise. Une bonne note permettra à la firme de placer plus aisément son emprunt auprès des banques et des autres investisseurs. Tout en étant censées donner des avis « indépendants » les agences sont payées par les firmes qui requièrent leurs services. Il va sans dire que cela peut entraîner des conflits d’intérêt et les trois grandes agences qui contrôlent 94% du marché (Standard & Poor’s, Fitch Ratings et Moody Investors Service), comme les moins grandes d’ailleurs, ont souvent été accusées d’avoir des relations « trop étroites » avec la direction des firmes qu’elle doivent évaluer.

Les trois grandes agences ont aussi implicitement obtenu l’aval des gouvernements et leurs évaluations se sont étendues à des emprunts publics à l’échelle régionale et nationale. L’effet qu’une notation peu favorable peut avoir sur la dette publique d’un pays est d’en augmenter la charge d’intérêt. C’est ce qui est arrivé récemment suite à la débâcle économique notamment en Grèce, en Irlande au Portugal et en Espagne.
Voici ce qui m’amène au titre de l’article…

Dans un article du New York Times du 23 avril 2010, j’ai appris comment « les agences de notation ont aidé Wall Street dans leurs deals ». Le titre de l’article suffit, mais les détails sont intéressants. Les banques de Wall Street auraient eu accès aux formules qui sont à la base des notations, et ont embauché ceux qui les produisaient. Ce qui a permis à ces mêmes banques de bricoler leurs données pour améliorer leurs notes.

J’ai aussi lu dans le New York Times du 2 mai 2010, sous le titre « A propos des agences de notation » que tout un chacun, à l’exception des banques de Wall Street, est outré par lesdites banques. Elles ont en effet engrangé des milliards de dollars en inventant des mécanismes complexes d’hypothèques foireuses, et ont fini par nous refiler leurs pertes quand elles se sont trouvées le ventre à l’air. Mais rien n’est dit des milliards engrangés par les agences de notation qui accordaient des triple A à la plupart de ces produits financiers véreux.

J’ai enfin lu dans le New York Times du 12 mai 2010, sous le titre « Les tribunaux se demandent si les huit banques ont trompé les agences de notation », que le procureur général de New York a commencé à investiguer si les huit grandes banques américaines ont berné les agences de notation et si elles savaient que les notations que leur donnaient Standard & Poor’s, Fitch Ratings et Moody Investors Service, étaient exagérément optimistes.

Mais, pourquoi prendre la peine de raconter tout cela ?

Parce que… j’ai aussi lu dans La Libre du 5-6 février 2011, sous le titre « Le patron des patrons met Yves Leterme au pied du mur », que suite à la question posée par un journaliste « Faut-il craindre une réaction négative des marchés [si le gouvernement belge ne mettait pas en œuvre l’AIP (2)] », M. Leysen, ledit patron des patrons répond : « Indubitablement. L’agence Moody’s a déjà dit que l’absence d’un AIP entrerait en ligne de compte dans sa décision finale de revoir éventuellement la note de la dette belge ».

Pas que je sois particulièrement contre le projet d’accord, mais qu’il faille pour le faire accepter, s’en référer à Moody’s dont on sait qui sont les experts qui y (man)œuvrent, me paraît énorme.

(1) Une version légèrement différente a paru dans la revue Politique dans son numéro 69, mars-avril 2011.
(2) C’est-à-dire le projet d’accord social refusé par la CGSLB et la FGTB.