dimanche 20 mars 2011

Inside Economics et Conflits d’Intérêt

Pierre Pestieau

Le film Inside Job de Charles Ferguson est un des premiers à révéler l’effarante genèse de la crise économique de 2008. La dépression mondiale, dont le coût est estimé à plus de 20 000 milliards de dollars, a privé des millions de personnes de leur emploi ou de leur maison. A travers des enquêtes approfondies et des entretiens avec des acteurs majeurs de la finance, des hommes politiques et des journalistes, Inside Job dévoile un monde dénué de tout scrupule et expose les relations scandaleuses qui ont corrompu la politique, les autorités de régulation et le monde universitaire.

C’est un film intéressant, captivant pour le profane et souvent irritant pour l’économiste. Le film donne parfois l’impression que la crise aurait pu être évitée si les acteurs avaient été davantage altruistes et moins dogmatiquement libéraux. Un peu comme si la construction d’une enceinte autour des centrales nucléaires aurait pu éviter le drame de Fukushima et les drames à venir. La vérité est que le système économique et surtout financier dans lequel nous vivons a un côté Frankenstein, un monstre que l’homme a créé pour son plus grand profit mais dont le fonctionnement lui échappe de plus en plus.

Ce que je retiens surtout de ce film ce sont quelques images de collègues économistes qui reconnaissent avoir touché des sommes importantes d’intermédiaires financiers. Mis en cause, ils s’énervent jusqu’à en devenir grossiers lorsqu’on leur demande combien ils ont touché et s’il ne serait pas sain de remercier leurs commanditaires dans leurs publications académiques. Quand ils consentent à donner une réponse, elle prend deux formes. C’est du domaine privé et de toute façon, ça n’a rien à voir. Ou bien, c’est l’envie : savoir qu’un collègue double ou triple son revenu annuel peut nourrir une indignation où l’éthique ne joue pas toujours un grand rôle.

Il y a plusieurs décennies, on commençait à découvrir les dangers que faisaient courir le beurre, et plus généralement les graisses animales, aux personnes souffrant de problèmes cardiovasculaires. Le monde agricole a réagi en soulignant que les chercheurs impliqués dans cette campagne étaient financés par le groupe Unilever, grand producteur de margarine. Etait-ce là un mauvais procès ? Non et oui. L’information devait induire plus de circonspection dans l’analyse des résultats. Mais, comme la suite l’a démontré, les résultats se sont avérés corrects. Une situation similaire se produit actuellement dans le monde des médicaments contre la dépression où des professeurs très réputés, y compris de Harvard, sont pris dans des conflits d’intérêt que plusieurs articles du New York Times qualifient d’épouvantables (1).

Quoiqu’il en soit il me semble que citer dans la transparence, c’est à dire éviter les sigles cryptiques, relève d’un sage principe de précaution. Cela ne nous met pas à l’abri d’autres conflits d’intérêt. Il serait, par exemple, souvent plus facile d’interpréter certains travaux scientifiques si l’on connaissait les convictions politiques ou religieuses des auteurs. Mais ceci nous fait clairement entrer dans le domaine délicat de la vie privée.

(1) Voir par exemple http://www.nytimes.com/2008/11/30/opinion/30sun2.html?ref=psychiatryandpsychiatrists

1 commentaire:

  1. Evidemment, si la science économique et la médecine étaient des sciences exactes, il n'y aurait pas de place pour les avis divergents et, ipso facto, pour les gratifications financières accordées aux experts soutenant tel ou tel avis.
    Sur l'état présent de la science économique, Paul Jorion, sociologue de l'U.L.B. qui annonçait dès 2007 la crise des subprimes de 2008, a son idée sur la question.
    Dans une interview accordée au périodique "Usbek et Rica" N°4/12 (printemps 2011), il affirme notamment:
    "La "science économique" a fait croire qu'elle était compliquée à comprendre pour les gens normaux. Se sont formés des phénomènes de "cliquisme", de coteries.Ces personnes disaient : "Ce que nous faisons est trop compliqué." C'était surtout complètement déconnecté de la réalité. On a complexifié de façon injustifiée."
    Plus loin:
    "La macroéconomie, qui devrait être une manière de parler de l'économie en prenant de la hauteur, est en réalité une manière très étroite de regarder les faits économiques, complètement dépassée au niveau théorique, fondée sur des postulats qui ne tiennent pas debout."
    On peut ne pas être d'accord mais on ne peut pas douter qu'il s'agisse là d'un avis d'expert.
    (Le blog de Paul Jorion est très actif)

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