samedi 28 mai 2011

La double peine

Pierre Pestieau

Selon la norme européenne, la pauvreté est définie à partir d’un seuil qui se montait pour la Belgique de 2009 à 966€ par mois pour un isolé et 1450€ pour un couple. Cela correspond a 60% du revenu médian dûment ajusté pour tenir compte de la taille de la famille. Vivre seul coûte plus par tête, ce qui explique que le seuil de pauvreté pour un couple n’est pas égal au double, mais à 50% de plus que celui d’un isolé. Selon ce standard, en 2009 la Belgique comptait 14,6% de pauvres avec des disparités régionales de 18,4% pour la Wallonie, 10,1% pour la Flandre et 27,8% pour Bruxelles.

Quand cette norme est apparue fin 2000, elle créa un choc. Jusqu'alors on mesurait la pauvreté sur base de la moitié du revenu médian et les taux étaient nettement plus bas, impliquant que de nombreux ménages belges se situent entre 50 et 60% du revenu médian. Ce changement du calcul et la détérioration de la situation économique et sociale de la Wallonie ont eu pour conséquence qu’on est passé en une décennie à des taux tournant autour de 5% en 2000 pour la Flandre et la Wallonie aux taux que nous venons de citer pour 2009. La Wallonie a près de deux fois plus de pauvres que la Flandre et Bruxelles près de 3 fois. Mais il y a plus grave. Disposer de si peu de ressources est la première peine à laquelle les pauvres sont condamnés. Malheureusement, ils sont soumis à une seconde peine.

On pourrait croire que les pauvres ont accès aux mêmes marchés que les classes moyennes. Il n’en est rien. On peut montrer que pour eux le coût d’un panier de biens essentiels tels que chauffage, alimentation, vêtements, logement, téléphone,… est souvent plus élevé que pour la classe moyenne. C’est ce qu’on appelle la double peine (1).

On doit ce concept de double peine appliqué à ce contexte à Martin Hirsch, l’ancien président d’Emmaüs et concepteur du revenu de solidarité active (RSA). De quoi s’agit-il ? Hirsch a rassemblé de nombreuses statistiques sur le coût de la vie. Résultat : les consommations de base – logement, alimentation, téléphonie, crédit… – sont systématiquement plus coûteuses pour les 3,5 millions de ménages français qui vivent sous le seuil de pauvreté. Ce type de données n’existe pas en Belgique mais on peut conjecturer que la situation n’y est pas différente.

Comment expliquer que non seulement les pauvres le sont en revenu mais aussi en consommation ? D’abord les pauvres n’ont pas la culture consumériste de la classe moyenne attirée par les bons coups, les soldes, les maîtres achats. Ensuite, le manque de mobilité des pauvres, particulièrement celui des personnes âgées, leur rend difficile de se déplacer là où les prix sont bas et les obligent à se fournir dans des commerces de proximité souvent plus chers. Enfin, il y a les économies d’échelle. Acheter en vrac peut être plus économique. Un abonnement téléphonique promotionnel est sûrement moins cher qu’un recours excessif aux cartes SIM. Sans parler de l’emprunt. Selon l’adage « On ne prête qu’au riche », les pauvres sont soumis à des taux usuraires qui accroissent leurs difficultés.

Cette idée que les pauvres paient plus que les autres pour les mêmes biens appelle plusieurs commentaires. D’abord, il y en aura toujours qui diront que quand on a peu ressources on fait l’effort de trouver les meilleurs prix. C’est oublier les contraintes de mobilité et d’information qui pèsent sur la plupart des pauvres. De même, on a souvent tendance à penser que les pauvres ne le sont pas autant que cela car ils auraient accès au secteur informel : entraide familiale et travail au noir pour prendre deux exemples. Ici aussi la prudence s’impose. Cette remarque n’est pas totalement infondée mais elle ne s’applique qu’à une minorité de pauvres.

Que faut-il faire ? Comme le suggère Hirsch (2), plutôt que pousser à une augmentation des allocations, peu probable dans l’état actuel des finances publiques, l’Etat devrait avec l’aide d’associations adopter une politique proactive sur le prix des dépenses obligatoires et sur l’accès aux services sociaux de base.

(1) En droit pénal, la double peine est le fait de condamner deux fois une personne (morale ou physique) pour le même motif.

(2) Le Nouvel Observateur, 12-18 mai 2011, p.87.

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