samedi 7 mai 2011

Zygo ou le bonheur est dans le blé

Pierre Pestieau

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Zygo (1) n’est pas un des frères méconnus de Chico, Groucho ou Harpo Marx, mais un raccourci pour les zygomatiques, ces muscles qui amènent les coins de la bouche vers les oreilles, et qui agissent principalement dans l'action du rire. Il m’est arrivé de faire croire à un auditoire crédule ou bienveillant l’histoire suivante. Les Japonais ont mis au point, sous le nom de Zygo, une puce quasi invisible qui peut être greffée sans douleur sous la peau Cette puce permet de mesurer le nombre de fois que les muscles zygomatiques sont utilisés au cours de la journée. Des chercheurs anglais et kenyans ont, avec la complicité de médecins et de dentistes locaux, greffé ces puces à une centaine de personnes issues des milieux yuppies de traders et autres cadres dynamiques de Londres et à une autre centaine habitant les quartiers les plus défavorisés de Nairobi, naturellement à leur insu. Au bout d’un mois, la conclusion de l’étude est sans appel: les pauvres Nairobiens rient beaucoup plus que les riches Londoniens. De là à conclure qu’ils sont plus heureux et qu’il faut inverser le flux de l’aide, il n’y a qu’un pas que ces chercheurs n’ont pas hésité à franchir.

Naturellement cette histoire était inventée de toute pièce. Si elle a pu paraître plausible à certains, c’est que depuis de nombreuses années certains économistes s’efforcent de mesurer le bonheur. Pour ce faire, ils recourent à des enquêtes du type « Etes-vous heureux ? Où vous situez-vous à cet égard sur une échelle allant de 1 à 10 ? ». Et tout récemment ils se sont tournés vers la neurologie pour obtenir des mesures plus « objectives » de la sensation de bonheur à partir d’images scannées du cerveau.

Certaines de ces études sont importantes, particulièrement celles qui portent sur les relations entre croissance et évolution du bonheur. Je citerai en particulier celles de l’économiste californien, Richard Easterlin, un des premiers et sans doute des plus sérieux à étudier ces relations. Il a donné son nom à un paradoxe, qui se déduit de trois observations :

· Dans toute société, les riches ont tendance à être beaucoup plus heureux que les pauvres.

· Et pourtant les sociétés riches ont tendance à ne pas être plus heureuses que les sociétés pauvres.

· Bien que les pays s'enrichissent, les gens ne sont pas plus heureux.

Easterlin a essayé d’expliquer son paradoxe en mettant l’accent sur le concept de revenu relatif (notre bien-être dépend de la manière dont nous nous comparons aux autres, qu’ils soient nos contemporains ou nos prédécesseurs.

Une explication alternative repose sur l’idée de ce qu’on appelle un «tapis roulant hédonique» : nous devons continuer à consommer plus pour garder le même niveau de bonheur. Cette observation repose sur une caractéristique de la nature humaine : nous nous habituons vite à une amélioration de notre bien-être et ne la percevons pas comme une amélioration. L’implication de ce comportement est inquiétante ; pour ne pas être malheureux il faudrait toujours croître alors que les problèmes environnementaux et démographiques indiquent qu’il faudra sans doute un jour accepter une arrêt de la croissance, voire une certaine décroissance.

Il y plus de 50 ans le génial Franquin, dessinateur des aventures de Spirou et Fantasio, avait imaginé la Zorglonde qui agissait directement sur les centres de la volonté et provoquait une sorte d'apathie cérébrale ; cette onde permettait de bâtir une armée d’automates. Peut-être faudrait-il songer à une onde moins nocive, la Zygonde qui déclencherait le bonheur et permettrait aux sociétés futures d’accepter de consommer moins tout en restant heureuses.

Pour conclure, un mot sur la Belgique. Y est-on heureux? Selon une récente publication de l’OCDE (2), la Belgique est un des pays où l’indice de bonheur est le plus élevé. Bien au-dessus de la moyenne et juste après les pays Nordiques, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui sont toujours bien classés. Plus étonnant, sur la période 2000-2006, la Belgique est de tous les pays de l’OCDE, exception faite de la Turquie, le pays qui a connu la croissance la plus élevée de son indice de bonheur.

Soyons heureux !

(1) Le terme fut popularisé en Belgique par le comédien Bernard Faure qui sous le surnom de Monsieur Zygo devint célèbre pour ses nombreuses caméras cachées, tournées entre 1968 et 1994 dans le cadre de l’émission télévisée Zygomaticorama.

(2) OECD, Society at a Glance 2009: OECD Social Indicators, Brussels.

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