vendredi 30 septembre 2011

La chasse aux mythes. Premier épisode : Israël

Victor Ginsburgh

A l’issue des discours d’Obama contre, d’Abbas pour, et de Netanyahou contre la demande palestinienne d’être reconnue comme Etat par les Nations Unies, je suis allé revoir ce que dit Simha Flapan (1) sur la naissance d’Israël. Flapan est un de ceux que l’on a appelés les « nouveaux historiens » israéliens dont font aussi partie Benny Morris (qui s’est rétracté par la suite et a regretté qu’Israël n’ait pas expulsé davantage de Palestiniens en 1947-48), Tom Segev, Ilan Pappé (2) et Avi Shlaïm. A la fin de années 1980, ils ont publié les résultats de leurs recherches sur la naissance de l’Etat d’Israël à la lumière de documents officiels britanniques et israéliens dont l’accès avait été rendu public (3).

Une première observation, qui n’est pas un mythe. Le texte de 1947 relatif au partage de la Palestine (55% aux Juifs, qui sont la minorité, et 45% aux Arabes) passe par l’Assemblée Générale des Nations Unies et pas par le Conseil de Sécurité ; il doit y recueillir 2/3 des voix, mais le résultat est incertain et donne semble-t-il lieu à des menaces, à des pressions et même à un peu de corruption. En septembre 2011, les Etats-Unis exercent des pressions sur les Palestiniens en les menaçant de leur couper l’aide s’ils persistent à déposer le texte de leur demande de reconnaissance. Ces mêmes Etats-Unis avaient menacé menacé de couper l’aide à la Grèce, si elle votait contre le plan de partage. La Grèce ne s’est pas laissée faire, pas plus que Mahmoud Abbas d’ailleurs. Et le 14 mai 1948, Ben Gourion a proclamé l’indépendance de l’Etat d’Israël (qui à l’époque ne demandait pas encore que l’Etat soit Juif) sans demander l’avis de personne.

J’en arrive maintenant à la liste des sept (un nombre sacré) mythes propagés par Israël et que Flapan s’attache à démonter. Je traduis en Français les pages 8-10 de son ouvrage, en espérant que les erreurs de traduction n’auront pas les mêmes effets que ceux de la Résolution 242 des Nations Unies demandant aux Israéliens de se retirer « des territoires » (tous affirment les uns, certains disent les autres) (4) occupés après leur victoire dans la guerre des Six Jours de 1967. Voici ce texte.

« Mythe 1. L’acceptation par les sionistes de la résolution de partition du 29 novembre 1947 a été un compromis important par lequel la communauté juive abandonnait le concept d’Etat Juif dans l’ensemble de la Palestine et reconnaissait le droit qu’ont les Palestiniens pour leur propre Etat. Israël accepte ce sacrifice parce que les Juifs ont supposé que l’exécution de la résolution se ferait dans la paix et en coopération avec le Palestiniens.

Réfutation. Mes recherches suggèrent qu’il s’agissait en fait d’un mouvement tactique au sein d’une stratégie globale. La stratégie consistait (a) à contrecarrer la création d’un Etat Palestinien en signant un accord secret avec Abdallah de Transjordanie, qui allait annexer le territoire destiné à devenir l’Etat Palestinien comme premier pas vers une ‘Grande Syrie’ et (b) à accroître le territoire accordé par les Nations Unies à l’Etat Juif. »


« Mythe 2. Les Arabes Palestiniens ont totalement rejeté la partition et répondu à l’appel du mufti de Jérusalem pour déclencher une guerre contre les Juifs, qui les forcerait à se satisfaire d’une solution militaire.

Réfutation. Ceci n’est pas toute l’histoire. Alors que le mufti était en effet un fanatique qui s’opposait à la partition, la majorité des Palestiniens arabes, tout en y étant aussi opposés, n’ont pas répondu à l’appel à la guerre sainte contre Israël. Au contraire, et ce jusqu’à la déclaration d’indépendance d’Israël qui allait venir le 14 mai 1948, nombreux étaient les dirigeants et les groupes palestiniens qui ont fait des efforts pour atteindre un modus vivendi. C’est uniquement la profonde opposition de Ben-Gourion à la création d’un Etat Palestinien qui a miné la réticence palestinienne à l’appel du mufti. »


« Mythe 3. L’exode des Palestiniens de leurs terres, aussi bien avant la déclaration d’indépendance d’Israël qu’après celle-ci, provient de la réponse à un appel des dirigeants arabes de quitter temporairement leurs terres, et d’y revenir après la victoire des armées arabes. Les Palestiniens ont quitté leurs terres malgré les efforts faits par les dirigeants juifs pour les persuader de rester.

Réfutation. En fait, l’exode a été provoqué par les dirigeants politiques et militaires israéliens, qui pensaient que la colonisation sioniste et l’indépendance d’Israël rendaient nécessaire le ‘transfert’ des Palestiniens arabes vers les pays arabes. »


« Mythe 4. Tous les pays arabes, unis dans leur détermination de détruire le nouvel Etat Juif, se sont résolus à envahir la Palestine pour en expulser les juifs.

Réfutation. Ma recherche suggère que le but des Etats arabes n’était pas de liquider le nouvel Etat, mais d’empêcher exécution de l’accord entre le gouvernement provisoire juif et Abdallah et son plan pour une ‘Grande Syrie’. »


« Mythe 5. L’invasion arabe de la Palestine le 15 mai 1948 [à la suite de la déclaration d’indépendance d’Israël], en contravention avec la résolution de partition des Nations Unies, a rendu inévitable la guerre de 1948.

Réfutation. Les documents montrent que cette guerre n’était pas inévitable. Les Arabes avaient accepté une proposition américaine de dernière minute d’une trêve de trois mois, à condition qu’Israël reporte temporairement sa déclaration d’indépendance. Le gouvernement provisoire a rejeté la proposition par une majorité de 6 voix contre 4. »


« Mythe 6. Le petit Etat nouveau-né a du faire face à l’assaut des armées arabes, comme David a fait face à Goliath : une armée inférieure en nombre, des hommes pauvrement armés et en danger d’être vaincus par un géant militaire.

Réfutation. Les faits et statistiques disponibles font état d’une situation bien différente. Ben-Gourion lui même a admis que la guerre où Israël était seul n’a duré que quatre semaines, jusqu’à la trêve du 11 juin, à la suite de laquelle des quantités importantes d’armes sont arrivées dans le pays. L’armée israélienne mieux entrainée et plus expérimentée a par la suite eu la maîtrise des terres, de la mer et des airs. »


« Mythe 7. La main d’Israël a toujours été tendue en signe de paix, mais comme aucun dirigeant arabe n’a jamais reconnu le droit à Israël d’exister, les Israéliens n’ont jamais eu en face d’eux quelqu’un avec qui parler.

Réfutation. Au contraire, depuis le fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’en 1952, Israël a refusé plusieurs propositions faites par les pays arabes et des médiateurs neutres qui auraient pu aboutir à des accommodements. »

***

Soixante-quatre ans après la partition, il n’y a pas grand chose de nouveau sous le soleil. Les Israéliens continuent à dire qu’ils n’ont en face d’eux personne avec qui parler. Même leur vocabulaire est resté identique.

Les pays arabes continuent à « cultiver » les réfugiés palestiniens dans les camps.

(1) Simha Flapan, The Birth of Israel. Myths and Realities, New York : Pantheon Books, 1987. Né en Pologne en 1911, a émigré vers Israël en 1930. Entre 1954 et 1981, il a été Secrétaire National du Mapam (Parti Unifié des Ouvriers). Il est mort à Tel Aviv en 1987.

(2) Ilan Pappé, La guerre de 1948 en Palestine, Paris : La Fabrique, 2000. Voir aussi son Ethnic Cleansing of Palestine, London : Oneworld, 2006. Né en 1954 à Haïfa, il a été professeur de science politique à l’Université de Haïfa, position qu’il a quittée en 2007, suite aux harcèlements dont il a été l’objet. Il est maintenant professeur à l’Université d’Exeter, au Royaume-Uni.

(3) J’aurais aussi pu relire Ilan Pappé qui est plus connu et plus médiatisé que Flapan. Il se fait que dans ma bibliothèque, le non-classement est à peu près alphabétique mais que Flapan vient quand même avant Pappé.

(4) Le « des territoires » français, contraction de « de » et de « les » est traduit de l’anglais « from territories », qui ne rend en effet pas clair s’il s’agit de tous les territoires ou de certains, puisqu’en anglais (ou en russe, une des autres langues officielles des Nations Unies à l’époque) il ne faut pas d’article dans cette partie de phrase.

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