vendredi 2 septembre 2011

Là où il y a des gènes, il n’y a pas de mérite

Pierre Pestieau

Il existe des débats scientifiques dont les retombées politiques sont importantes. Il faut les décoder et lorsqu’il y a des découvertes surprenantes, il convient de déceler la possibilité de conflits d’intérêts. C’est certainement le cas du débat sur le rôle respectif de l’acquis et de l’inné, parfois appelé nature-nourriture par analogie avec les termes anglais nature-nurture. Ainsi en est-il du débat gènes-comportement.

Ce débat est apparu à la une des journaux il y a quelques semaines avec la publication d’une étude (1) dirigée par Nir Barzilai, directeur de l'Institut de la recherche sur l'âge à la faculté de médecine de l'Université Yeshiva, à New York. L’étude concluait que la longévité est davantage liée aux gènes et à l’hérédité qu’aux modes de vie et d’alimentation. Ce résultat est important car, pris à la lettre, il implique un certain fatalisme : à quoi bon faire des efforts souvent pénibles pour vivre longtemps alors que tout est une fonction des gènes. Il peut conduire à une démobilisation tant au niveau de l’individu qu’à celui de la collectivité.

Mais d’abord revenons à cette étude qui a fait l’objet de bien des commentaires dans la presse. Les chercheurs ont mené leur étude sur 477 juifs ashkénazes, âgés de 95 à 122 ans et vivant de façon autonome. Cette population a été comparée à un échantillon de 3 164 personnes nées à la même époque que les centenaires et ayant été examinées entre 1971 et 1975 lors d'une enquête nationale sur la santé et la nutrition. Les résultats montrent que les personnes ayant vécu le plus longtemps ont bu légèrement plus et fait moins d'exercice que la moyenne générale, et suggèrent que les centenaires doivent posséder des gènes de longévité supplémentaires qui leur servent de protection contre les effets nocifs d'un mode de vie peu sain. L’étude a la sagesse de conclure que même si les centenaires peuvent être obèses, fumer et ne pas faire d'exercice, ces modes de vie ne sont guère conseillés à ceux qui ne présentent pas d’antécédents de longévité dans leur famille.

Il est clair que certains individus naissent avec de bons gènes de longévité. Un jour peut-être ils pourront être détectés tôt et cette information pourra avoir des conséquences multiples pour les individus eux-mêmes (épargne, mariage, retraite) et pour les sociétés d’assurance-vie. On notera en passant que les individus disposent déjà d’une certaine information sur leur probabilité de survie, fondée sur l’histoire de la famille, la profession et le style de vie. Certaines études indiquent que la corrélation entre la perception des probabilités de survie et leur réalité est élevée. La question essentielle demeure celle de la responsabilité individuelle et collective. Sommes nous en partie responsable de notre longévité ? La réponse est oui. De combien ? On ne sait pas vraiment. Les estimations aboutissent à des chiffres qui varient entre 30 et 50%.

En Belgique, on observe un écart croissant entre la longévité des Flamands et des Wallons. Il est difficile de l’attribuer à des facteurs héréditaires. En revanche, toute une série de facteurs liés au style de vie et à l’environnement différentient les deux régions. Or nous sommes individuellement et collectivement responsables de ces facteurs. Une politique plus proactive de santé publique ou un contrôle plus sévère de la pollution urbaine, une alimentation plus saine et davantage d’exercice physique pourraient permettre à la Wallonie de combler cet écart embarrassant.

(1) Swapnil N. Rajpathak, Yingheng Liu, OritBen-David, SarithaReddy, Gil Atzmon, Jill Crandall and NirBarzilai, Journal of the American Geriatrics Society, August 3, 2011.

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