vendredi 16 décembre 2011

Taxons les semences, même si nous ne savons pas pourquoi, y en a qui savent

Victor Ginsburgh

Mon revenu imposable, déduction faite des retenues de sécurité sociale, de solidarité et d’indemnité funéraire (dont je vous ai déjà entretenu dans un blog précédent) est taxé. La partie que je consomme est à nouveau taxée à raison de quelque 20%, c’est la TVA ; l’alcool que je bois, et l’essence que je consomme en roulant après avoir bu sont en outre soumis à des droits d’accises, sur lesquels est appliquée la TVA, une triple cascade. Faut que je fasse attention au volant. Si on me pince, ça fera une cascade à quatre étages (1).

Rassurez-vous, je ne vais pas proposer de faire la révolution parce que les revenus sont taxés plusieurs fois. D’autres, bien plus riches que moi y ont déjà pensé. Leur révolution consiste à évader leurs impôts par tous les moyens légaux, ou à la limite de la légalité et ils y réussissent pas mal, merci. Ainsi, la société pétrolière Exxon qui a payé quelque $15 milliards d’impôts dans les pays où elle extrait du pétrole, a reçu $45 millions de remboursements du fisc américain, grâce aux déductions fiscales prévues par la loi américaine. Mobil et Chevron sont à la même enseigne, General Electric et la bien-aimée Bank of America, toutes deux en perte, ont récupéré respectivement $1,1 et 2,8 milliards aux Etats-Unis (2).

Ne nous en faisons donc pas pour les riches, et venons-en aux autres, par exemple aux agriculteurs français, qui vont être assujettis à une taxe sur les semences qu’ils produisent eux-mêmes, ce qui ne tardera guère à se répandre dans l’ensemble de notre si belle Union Européenne (UE). C’est juste une petite taxe pour aider Monsanto, le spécialiste de la biologie végétale.

En effet, un règlement de juillet 1994 du Conseil de l’UE (3) avait préparé le terrain il y a près de 20 ans, mais le règlement n’avait pas été (trop) appliqué. Comme tout règlement de l’UE, il est incompréhensible et il faut un juriste-agronome, connaissant au moins 23 langues (24 avec le croate) pour le traduire. En substance, ce règlement sur la protection des « obtentions végétales » (je vous avais prévenus que c’était incompréhensible, et ce, dès le titre ; dans mon Petit Robert, on parle d’obtention d’un visa, d’un diplôme, d’une température, pas d’un végétal, et encore moins de la femelle d’un végétal, une végétale).

En clair, et grâce à une article du Monde (4), voici ce dont il s’agit : Les semences de ferme sont légalisées (légaliser une semence, il faut le faire !) à condition de verser une rémunération aux titulaires des entreprises de semenciers, « afin, dit le règlement européen, que soit poursuivi le financement des efforts de recherche et que les ressources génétiques continuent d’être améliorées ». On punit ainsi les agriculteurs qui produisent leurs semences au lieu d’acheter celles que produit par exemple Monsanto, et dont les « rejetons » sont stériles. Donc il faut en racheter chaque année. C’est ce en quoi consistent les « efforts de recherche et l’amélioration des ressources génétiques» du règlement européen.

Et si on faisait ça avec d’autres biens ? Il va de soi que le beurre, la viande et le lait produits et consommés par le fermier doivent être taxés. De même que le travail domestique. Celui de l’homme quand il prépare le repas. Celui de la femme quand elle remplace une ampoule défaillante. Celui de l’enfant pendant qu’il fait ses devoirs. Ben oui, s’il fallait acheter tout ça, on devrait aussi payer : une bonne (ou un bon) pour cuisiner, un(e) électricien(ne) pour remplacer une ampoule, un(e) ingénieur(e)-mathématicien(ne)-linguiste-qui-écrit-sans-fautes pour faire les devoirs du petit. Tout ça fera pas mal de TVA et d’impôts sur leurs revenus.

En fait, l’auto-production des semences doit être taxée pour permettre à Monsanto d’améliorer les semence. Quant au travail domestique, c’est de la fraude fiscale. Donc, quand je propose de taxer tout ça, c’est finalement une bonne idée : elle devrait permettre de sortir nos états du marasme et sauver les banques de celui dans lequel elles nous ont tous mis.

(1) Mon compère bloggeur me fait remarquer que ce qui compte c’est l’imposition totale d’un bien et pas la cascade. Je comprends cela bien sûr, mais il faudrait alors complètement réformer l’imposition et n’avoir plus qu’un type d’impôt qui impose chaque bien ou groupe de biens, ou tout simplement les revenus. C’est ce que proposent C. Landais, T. Piketty et E. Saez dans leur ouvrage Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le 21e siècle. Voir http://www1.revolution-fiscale.fr/Pour_une_revolution_fiscale.pdf

(2) Voir http://money.cnn.com/galleries/2010/news/1004/gallery.top_5_tax_bills/2.html

(3) Règlement (CE) No 2100 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales. http://eur-lex.europa.eu/Notice.do?mode=dbl&lang=en&lng1=en,fr&lng2=bg,cs,da,de,el,en,es,et,fi,fr,hu,it,lt,lv,mt,nl,pl,pt,ro,sk,sl,sv,&val=302956:cs&page=1&hwords=

(4) Le Monde en Ligne du 29 novembre 2011. Merci a S.G. d’avoir attiré mon attention sur le problème des semences.

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