jeudi 8 mars 2012

Bombe iranienne et bruits de bottes israéliennes

Victor Ginsburgh

Un lecteur (assidu, pas sûr, mais ami, certes) me demande d’écrire sur les dangers que font courir les Iraniens au monde en général, et aux Israéliens en particulier. Je m’y prête volontiers, sans y connaître grand-chose, mais puis parler de ce que j’ai lu (dans le New York Times, le Washington Post, Haartez notamment, tous peu suspects de théoriser sur des complots) et qui va à contre-courant de ce qui nous est asséné jour après jour.

Seize services secrets américains « continuent à penser qu’il n’y a aucune évidence que l’Iran a décidé de produire une bombe atomique » (1), mettant ainsi en doute un rapport récent de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA). L’Iran aurait abandonné la course à la bombe en 2003 et ne semble pas avoir changé d’avis. Enrichir l’uranium ne signifie pas construire une bombe. Par contre, il n’est pas impossible que les autorités iraniennes sèment le doute sur leurs intentions, ce qui, à la guerre comme à la guerre est, si l’on peut dire, de bonne guerre, mais dangereux. Après tout, les armes de destruction massive de Saddam Hussein n’existaient pas non plus, mais il l’a laissé croire et Bush nous a tous trompés en connaissance de cause.

C’est aussi ce qu’essaient de savoir les services secrets et moins secrets israéliens. On peut cependant avoir de sérieux doutes sur les capacités des services israéliens de trouver des choses que ne connaîtraient pas les services américains. Nous sommes tombés dans le panneau de Bush, ne tombons pas dans celui de Netanyahou, Lieberman, Ehud Barak et consorts, d’autant plus que la direction du Ministère de la Défense en Israël semble « pourrie jusqu’à la moelle » (2).

Est-ce que ce qu’on nous raconte des éructations d’Ahmadinejad est vrai ? Non dit un article de Counterpunch (3) que je cite ici :

« Les media créditent Ahmadinejad de propos qu’il n’a pas tenus. Il n’a jamais dit qu’il fallait ‘effacer Israël de la carte’. Ce mythe est dû à une erreur de traduction. Ahmadinedjad aurait utilisé les mots prononcés par Khomeini en 1980 : ‘le régime d’occupation en place à Jérusalem sera effacé de la page du temps.’ » (4).

A vrai dire, j’espère aussi que ‘le régime d’occupation sera effacé de la page du temps’. Certains vont hurler, mais ce n’est pas grave, je ne comprends ni l’hébreu ni le yiddish et surtout qu’ils ne me fassent pas dire que je parle ‘d’effacer Israël de la carte’.

Sans doute Ahmadinejad est-il allé plus loin parfois, mais est-ce autre chose que des provocations et des incantations dont la culture iranienne est empreinte, ainsi que des mauvaises traductions destinées à ceux qui, comme nous, ne comprennent pas le persan et ne connaissent pas l’Iran! Un livre écrit par André Foncouberte (5) est particulièrement éclairant. Voici ce qu’il écrit :

« [Le discours d’Ahmadinejad] relève davantage de l’incantation que de la mise en œuvre d’une réelle politique étrangère. Le problème est que nous oublions toujours la composante incantatoire de ce discours et que nous l’abordons selon une rationalité qui renvoie à la logique de notre propre discours politique qui fait la part dans ce que l’on dit entre le vrai et le faux. Dans notre logique, les dimensions poétiques ou incantatoires sont exclues. Cette divergence dans l’usage de la parole et dans la valeur de vérité que l’on peut accorder à un discours écrit ou oral est pourtant une constante culturelle qui oppose les Iraniens aux Occidentaux. »

Prenez la peine de lire le discours qu’Ahmadinejad a prononcé lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 22 septembre 2011 (6). Ce n’est pas tout à fait ce que je dirais, mais il n’y a ni antisémitisme, ni élimination de l’Etat d’Israël de la carte du Moyen Orient, ni négation de la Shoah, ni accusation que les Américains ont eux-mêmes provoqué Nine Eleven, ni apologie de Ben Laden.

Comment vont les Juifs iraniens ? Assez bien merci, comme le montre un article du New York Times, écrit par un journaliste dont non seulement le nom est Cohen mais qui a aussi visité l’Iran en 2010 (7). Il y a plus d’une douzaine de synagogues à Téhéran. A Ispahan, les Juifs prient dans une synagogue qui fait face à une mosquée dont le nom est Al-Aqsa. Un marchand juif auquel le journaliste demande ce qu’il pense des « Mort à Israël » quotidiens, répond : « Je vis ici depuis 43 ans et n’ai jamais eu le moindre problème, » et la communauté de quelque 1.200 Juifs d’Ispahan se réclame d’ancêtres qui y sont arrivés il y a 3.000 ans. 25.000 Juifs continuent à vivre en Iran (mais il est aussi vrai que 75.000 sont partis après l’arrivée de Khomeini en 1979).

« A la mosquée Al-Aqsa, » écrit Cohen, « Monteza Forughi montre du doigt la synagogue située en face et explique ‘Ils ont leur prophète, nous avons le nôtre et c’est très bien ainsi’. »

Si nous pouvions tous, croyants et mécréants, être d’accord sur ce point, nous pourrions changer le monde.

Il me faut terminer par l’article que Bradley Burston a écrit sur la victoire iranienne aux Oscars et qu’il a intitulé « This Purim, I’m lifting a glass to Iran » (8). Il se plaît à rapporter les mots qu’Ashgar Farhadi, directeur du film récompensé, a prononcés à Los Angeles. Les voici :

« En ce moment, beaucoup d’Iraniens dans le monde nous regardent et j’imagine qu’ils sont très heureux, pas seulement à cause d’une récompense importante ou d’un directeur de film. Mais parce qu’à un moment où il est question de guerre, d’intimidation et d’agression que s’échangent les politiciens, le nom de leur pays, l’Iran est ici présent dans sa glorieuse culture, une culture riche et ancienne, enfouie sous une couche de poussière politique. Je suis fier d’offrir cette récompense au peuple de mon pays, un peuple qui respecte toutes les cultures et civilisations, et qui a horreur de l’hostilité et du ressentiment ».

L’article de Bradley Burston que je cite ici a paru le 29 février dans Haaretz (9), un des grands quotidiens israéliens.

(1) US agencies see no move by Iran to build a bomb, The New York Times, 25 February 2012.

http://www.nytimes.com/2012/02/25/world/middleeast/us-agencies-see-no-move-by-iran-to-build-a-bomb.html

(2) Israel’s defense leadership is rotten to the core, Haaretz, 6 March 2012.

http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/israel-s-defense-leadership-is-rotten-to-the-core-1.416748

(3) Mike Whitney, Why Iran’s Jews are better off than Gaza’s Palestinians, Counterpunch, August 18, 2010.

http://www.counterpunch.org/2010/08/18/why-iran-s-jews-are-better-off-than-gaza-s-palestinians/

(4) Voir Glenn Kessler, Did Ahmadinejad really say Israel should be ‘wiped off the map’?, The Washington Post, October 5, 2011. Pour ceux qui connaissent le farsi, voici les mots (en caractères latins): “Een rezhim-i eshghalgar-i Quds bayad az sahneh-i ruzgar mahv shaved.”

(5) André Foncouberte, L’exception iranienne, Paris: Koutoubia, 2009. Foncouberte a travaillé au ministère de la Défense et au ministère des Affaires étrangères en France. Il a été diplomate en Iran dans les années 1990. Voir aussi Laurence Zordan, Un livre paradoxal sur le paradoxe iranien, La Quinzaine Littéraire 1005, Décembre 2009.

(6) http://thecritical-post.com/blog/2011/09/president-mahmoud-ahmadinejad’s-speech-at-the-united-nations-thursday-22-september-2011-full-translation-transcript-text-tcpchicago/

(7) Roger Cohen, What Iran Jews say, The New York Times, 23 February 2009. http://www.nytimes.com/2009/02/23/opinion/23cohen.html

(8) Pourim est une fête juive qui célèbre, fin février ou début mars de l’année, un événement (historique ou pas, on ne sait pas trop, comme d’ailleurs pour la plupart des événements décrits dans l’Ancien Testament) qui s’est passé en Perse. Cet « événement » est rapporté dans le livre d’Esther, reine de Perse, qui a déjoué un plan contre le peuple juif. Le plan s’est d’ailleurs retourné contre les Perses : 75.000 d’entre eux ont été massacrés par les Juifs…

(9) Bradley Burston, This Purim, I’m lifting a glass to Iran, Haaretz 29 February 2012. http://www.haaretz.com/blogs/a-special-place-in-hell/this-purim-i-m-lifting-a-glass-to-iran-1.415528

1 commentaire:

  1. En 1914 les soldats Allemands coupaient les mains des enfants Belges... Non je rigole c etait la propagande de l epoque :). ce qui est triste c est que pres d un siecle apres tout le monde continue a avaler les versions "officielles" sans jamais se poser de questions.

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