vendredi 2 mars 2012

L’Afrique, continent des extrêmes

Pierre Pestieau

Quelques temps après la vague décolonisatrice et les espoirs qu’elle avait entraînés, il nous a fallu déchanter. René Dumont publiait son ouvrage L'Afrique noire est mal partie (1) qui allait s’avérer prophétique. Plus d’un demi siècle plus tard, Paul Collier publie The Bottom Billion (2) dans lequel il décrit la tragédie de ce milliard d’êtres humains les plus pauvres qui devenaient encore plus pauvres. La majorité d’entre eux habitent le continent africain. Ils souffrent, selon Collier, de leur enfermement dans quatre types de « trappes », ou pièges, dont ils peinent à sortir : le cercle vicieux des conflits qui ont une fâcheuse tendance à se répéter, la tristement célèbre malédiction des ressources naturelles, l’enclavement ou la proximité de voisins perturbateurs et, enfin, la mauvaise gouvernance qui frappe les petits pays avec une gravité particulière. De cette lecture, je tirais l’impression d’un continent maudit pour reprendre l’expression de Moussa Konate (3). Maudit comme le serait la Sicile de Lampedusa et de Visconti, celle du Guépard (4). Et comme le devient la Grèce.

Et voila que, il y a quelques mois, le magazine The Economist (5) qui avait largement contribué à cette déprimante réputation de l’Afrique noire publie un article sur le miracle de la croissance africaine. Après avoir battu sa coulpe pour son pessimisme passé, The Economist constate que durant les dix dernières années, six des dix économies qui ont connu la plus forte croissance au monde se trouvent en Afrique Sub-saharienne. Le FMI prévoirait même que l’Afrique occupera sept des dix meilleures places dans les cinq prochaines années pour ce qui est du taux de croissance. Au cours de la décennie passée, le simple taux de croissance moyen, non pondéré, des différents pays africains était comparable à celui de l’Asie. Il est vraisemblable que dans un proche avenir l’Afrique fera la course en tête. Autrement dit, la croissance de l’économie africaine surclassera celle de l’Asie. La Guinée équatoriale, l’Angola, le Ghana, l’Ethiopie et le Malawi croissent à raison de 7.5% l’an et davantage. De là à penser que l’Afrique s’est exorcisée de tous ces démons, il y a un détroit que j’hésiterais à franchir.

L’Afrique noire continue d’occuper d’autres premières places moins glorieuses. Il y d’abord la démographie. On s’attend à ce que l’Afrique, Afrique du nord comprise, voie sa population plus que quadrupler d’ici à la fin du siècle ; elle passerait de 800 millions à 3,6 milliards, et ce en dépit de la prévalence du sida et de la malaria. Plus grave, les indices de démocratie et de gouvernance voient les pays africains constituer un « gruppetto » inquiétant. Les mesures de gouvernance sont sans nul doute contestables ; en revanche, celles qui portent sur les régimes politiques sont beaucoup plus fiables. Enfin, l’Indice de Développement Humain des Nations Unies (6) qui concerne la pauvreté, la santé et l’éducation, est extrêmement bas dans la plupart des pays africains. Sur les 24 derniers pays classés, 21 étaient africains en 2009.

(1) Paris : Editions du Seuil, 1962

(2) The Bottom Billion. Why the Poorest Countries are Failing and What Can Be Done About It, Oxford University Press, 2007.

(3) Moussa Konate, L’Afrique noire est-elle maudite ?, Paris : Fayard, 2010.

(4) Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, Paris : Points, 1958. En 1963, ce roman a été fidèlement adapté au cinéma par Luchino Visconti

(5) http://www.economist.com/node/21541015

(6) L'indice de développement humain est un indice statistique composite, créé en 1990 par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour évaluer le niveau de développement humain des pays du monde. L'IDH se fonde sur trois critères majeurs : l'espérance de vie, le niveau d'éducation et le niveau de vie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire