jeudi 15 mars 2012

Notes de lecture IV. Le banquier anarchiste

Victor Ginsburgh

« Eureka », comme disait Archimède en sortant de sa douche (1).

« J’ai trouvé » un petit livre de Fernando Pessoa, Le banquier anarchiste (2) qu’il a écrit sur son banc devant le café A Brasileira de Lisbonne. Il montre que les banquiers ne sont pas de ces gens qu’on dit méchants et qui veulent ruiner le monde. Non, en fait, bien au contraire, ils veulent le sauver.

Voici quelques extraits du conte de Pessoa :

« C’est en moi—oui en moi le banquier, le grand commerçant, le profiteur si vous voulez—que la théorie et la pratique de l’anarchisme se rejoignent. Vous m’avez comparé à ces imbéciles, ces amateurs de bombes et de syndicats, pour bien me montrer que je suis différent d’eux. Je le suis bien sûr ; seulement la différence entre nous, c’est qu’ils ne sont eux, anarchistes qu’en théorie ; moi je le suis en théorie et en pratique. Ils sont eux anarchistes et stupides ; moi je suis anarchiste et intelligent (p. 14)…

Je trouvais insupportable de n’être qu’un anarchiste passif, tout juste bon à écouter les laïus pour en discuter avec les copains. Non : je devais faire quelque chose. Il fallait travailler, lutter pour la cause des opprimés, ces victimes des conventions sociales (p. 31)…

Cette idée de justice, elle était réellement en moi. Je sentais que j’avais à remplir un devoir supérieur au souci de mon destin personnel. Je suis donc allé de l’avant (p. 38)…

Je me suis demandé quelle était la première, la plus importante des fictions sociales qu’il fallait réduire à l’impuissance. La plus importante, du moins à notre époque, c’est l’argent. Comment me rendre maître de l’argent ou, plus précisément, du pouvoir, de la tyrannie de l’argent ? (p. 61)…

Il n’y avait qu’un moyen, en gagner ! C’est quand j’ai vu cela clairement que je suis entré dans la phase commerciale et bancaire de mon anarchisme. Cela m’a pris un certain temps, mais j’ai réussi. Je n’ai pas été regardant sur les moyens, j’ai fait feu de tout bois, l’accaparement de biens, le sophisme financier, la concurrence déloyale (pp. 62-67).

Bien sûr, je suis sans scrupule (p. 77). »

J’ai compris, c’est formidable ce que les banquiers sont en train de faire 90 ans après la publication en 1922 du conte de Pessoa (3), et sans aucun doute inspirés par lui. Se rendre maître de la tyrannie de l’argent. C’est ça, la nouvelle lutte finale et les lendemains qui chantent.

Maintenant, courez acheter le film Inside Job (4). Vous verrez à l’œuvre le monde des banques, y compris la Banque Centrale américaine, le monde gouvernemental sous Bush, celui de certains professeurs d’Université, celui des agences de notation qui distribuaient des AAA aux pires instruments financiers, et vous serez presque convaincu qu’entouré de toute cette bande d’escrocs, seul l’ex-président du FMI, DSK soi-même, est honnête et son discours est pertinent et intelligent. On a presque envie de l’embrasser, enfin pas moi, mais vous pouvez si l’envie vous prenait.

Et puis, allez acheter quelques bombes pour liquider ces « banquiers anarchistes » et les professeurs d’économie qui mangent dans leurs mains.


(1) À cette époque, il n’y avait point d’aspiratrice pour freiner l’élan de ceux qui sortaient de leur douche.

(2) Fernando Pessoa, Le banquier anarchiste, Paris : Christian Bourgois Editeur, 2000.

(3) Dans la revue Contamporânea 1, mai 1922.

(4) Dont Pierre Pestieau a parlé dans son blog du 20 mars 2011, « Inside economics et conflits d’intérêt ». Voir http://www.thebingbangblog.be

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