jeudi 19 avril 2012

Dépendance et maltraitance

Pierre Pestieau

Avec l’allongement de la durée de vie, la dépendance devient de plus en plus répandue. C’est tout à la fois une bénédiction et une malédiction. Une bénédiction parce que généralement elle arrive au bout d’une vie déjà longue et bien remplie. Une malédiction parce qu’elle peut conduire à des maltraitances.

Commençons par un ordre de grandeur. En Belgique, la fraction de ceux et celles qui ont plus de 80 ans devrait passer de 6.5 à 17.5 % entre 2010 et 2060. C’est dans cette population que sont concentrées les personnes dépendantes dont le nombre devrait plus que doubler. La majorité de ces personnes restent chez elles et sont soignées par des proches, généralement les épouses et les (belles) filles, celles qu’on appelle les « aidantes naturelles ». Une minorité, surtout dans les cas de dépendance lourde, se retrouvent dans des maisons de soins.

Il y a plusieurs façons d’appréhender la dépendance quand on ne la vit pas soi-même. On peut le faire à la manière des contes de fée ; tout se fait dans la joie, dans un monde de double dividende. La personne aidante est heureuse de s’occuper d’un parent aimé et la personne aidée est ravie de bénéficier d’une assistance chaleureuse et personnelle. Quand il faut se résigner à institutionnaliser la personne dépendante, cela se fait sans heurt et dans un établissement confortable et accueillant. Force est d’admettre que ce genre de situation est plutôt l’exception que la règle.

Plusieurs études montrent que tant les personnes aidantes que les personnes aidées ne vivent pas ces situations comme des contes de fée et peuvent être malmenées pour ne pas dire maltraitées. Commençons par les aidants. Il est commode de penser que telle femme qui soigne son beau-père ou telle épouse qui s’occupe de son mari le fait avec joie, en chantant, la fleur au torchon. Trop souvent, elle y est contrainte par la « norme familiale » et passera ainsi plusieurs années à vivre une vie qu’elle n’a pas choisie, qui lui est imposée par la famille, par le milieu. Et quand vient le moment inévitable où la personne dépendante décède, elle se trouve désemparée, connaissant un vide existentiel et souffrant de maux psychosomatiques dont elle ne se remettra peut-être jamais. Quant à la personne dépendante, elle se trouve parfois confrontée à un choix difficile si elle a toujours sa lucidité : s’en remettre à sa famille avec le danger d’être vite mise de côté physiquement et psychologiquement ou partir pour une maison de soins où elle court le risque de tomber sur un personnel débordé, négligent, voire abusif. Le risque de tomber sur un « ange de la mort » n’est pas nul. Les cas de maltraitance au sein de la famille ou dans les institutions qui font de temps à autres la une des journaux sont plus fréquents que l’on ne croit (1).

Ce qui m’intéresse ici est d’examiner ce qu’il faut faire individuellement et collectivement. On aimerait pouvoir s’assurer contre les deux formes de maltraitance. On privilégierait le maintien à domicile mais à la moindre alerte, on pourrait recourir à une maison de soins. Dans ce type d’institution aussi, il y aurait une clause permettant de garantir la qualité des soins et une porte de sortie en cas d’abus. On est loin du compte. Le risque de dépendance en soi est déjà difficile à assurer ; a fortiori le risque de maltraitance familiale ou institutionnelle.

Sans recourir au marché, il est important que les familles soient conscientes des risques que fait courir la dépendance. Les situations de dépression et d’épuisement que connaissent les aidants naturels ne sont souvent pas anticipées au moment où il est question de la prise en charge un proche. Derrière les termes un peu ronflants de « virage ambulatoire » et de « maintien à domicile », se cache une tâche qui, au jour le jour, n’a rien de très « naturelle ». Cet aveuglement sur les conséquences de l’aide familiale ne caractérise pas seulement les aidants mais aussi les aidés. S’ils en étaient conscients, ces derniers devraient faire preuve de suffisamment d’altruisme et protéger leurs filles ou leurs épouses contre ce qui peut rapidement devenir un enfer.

Enfin les pouvoirs publics ont une responsabilité aussi. Faute de ressources, ils ont tendance à compter sur les familles. Mais, ce n’est souvent là qu’une politique à courte vue. Le coût social indirect de la dépendance (qui résulte de la prise en charge médicale des aidants naturels) se révèle souvent plus élevé que le coût direct et justifie le développement de structures d’accueil pour les dépendants.

Tout cela n’est guère réjouissant. D’autant que les solutions ne sont pas légion. Seule lueur d’espoir, devenir un riche banquier, comme nous l’explique Victor Ginsburgh dans son blog ci-dessous.

(1) Dans une enquête récente auprès de personnes dépendantes, il apparaît qu’un répondant sur six a vécu l’une des formes de maltraitances allant au-delà du manque d’attention et de la maltraitance verbale à la maltraitance physique, sexuelle, financière, civique ou médicale. Voir Marie-Thérèse Casman, Etude sur le bien-être des personnes de plus de 70 ans en Wallonie, Panel Démographie Familiale – Université de Liège 2010.

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Merci pour cette article intéressant qui traite d'un aspect peu reluisant mais malheureusement réel de la dépendance.

    je me permet de vous signaler un article traitant d'un sujet similaire et qui me semble complémentaire au votre : http://aidants.mesdebuts.fr/3457-aider-proche-age-domicile-charge-ressentie.html/comment-page-1

    Il est vrai que l'on sous estime parfois la charge quotidienne que peut représenter une personnes dépendantes.

    Et à part l'aide d'association ou les solutions de téléalarme, il n'y a que peu de solution pour améliorer cette situation.

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