mercredi 6 juin 2012

Pour dieu et pour du beurre

Pierre Pestieau

Une des malheureuses leçons que l’on peut tirer de l’histoire récente de nos démocraties est que les gouvernements cèdent plus rapidement à la pression de la rue qu’à l’urgence des besoins. Il y a plus de 15 ans, j’ai eu l’occasion de rencontrer le ministre des pensions de l’époque. C’était un socialiste flamand fort sympathique. Dans la conversation je lui ai fait remarquer qu’il est choquant de voir que plus une personne est âgée, plus le montant de sa retraite est faible. C’est donc chez les personnes âgées, le plus souvent des femmes, que l’on trouve les taux de pauvreté les plus élevés. A ma grande surprise, il m’a répondu de façon paternelle : Mon cher ami, il ne vous pas échappé que ce n’est pas ce segment de la population qui va organiser des manifestations et paralyser le pays.

Cette anecdote m’est venue à l’esprit lorsque j’ai découvert le problème du financement de l’aide juridique en Belgique, qui vient de conduire à une grève inédite des avocats pro deo dans la partie francophone du pays (1). Cette assistance est offerte à la population défavorisée. Or cette population ne cesse d’augmenter; de surcroît, elle rencontre des problèmes juridiques croissants. Malheureusement depuis plusieurs années, calculée en euros constants, l’enveloppe consacrée à l’aide juridique s’est réduite comme une peau de chagrin. La conséquence est double : toute la demande ne peut être satisfaite et la rémunération horaire des avocats pro deo se réduit. Elle tournerait aujourd’hui autour de 7 euros, ce qu’on appelle généralement un « salaire de misère ».

Si l’activité pro deo était largement partagée par les avocats, ce ne serait qu’un demi-mal. Ce n’est évidemment pas le cas, puisqu’elle est souvent concentrée sur les avocats qui débutent au barreau ; pour certains, particulièrement les pénalistes, elle représente la principale source de revenu.

On se trouve ainsi devant une situation doublement scandaleuse. D’une part, une population paupérisée qui ne dispose pas d’une aide pourtant si nécessaire dans une société qui se judiciarise de plus en plus. D’autre part, une cohorte de jeunes avocats qui, faute d’avoir pu se constituer une clientèle suffisante, voit sa source principale de revenus rapetisser à des niveaux qui frisent la précarité.

Sur le plan politique, ce sont là deux populations qui n’ont pas des moyens de blocage efficaces. De plus, la majorité des gens ne s’identifient avec ni l’une ni l’autre. Ils ne pensent pas avoir jamais besoin de l’aide juridique; ils n’ont que rarement des relations proches avec des jeunes avocats.

Il y a quelques jours, Le Monde (du 29/5/2012) consacrait un article à ce que l’on appelle les maladies négligées. Pourquoi négligées ? Parce que faute de débouchés commerciaux rentables, les laboratoires pharmaceutiques ont, depuis toujours, délaissé la mise au point de traitements pour y faire face. Par analogie, on pourrait parler de problèmes sociaux négligés. Problèmes sérieux mais qui ne reçoivent aucun écho dans l’opinion. L’assistance juridique appartient à cette catégorie ; la politique carcérale aussi ; de même que le traitement de certains handicaps tels que la trisomie, l’autisme ou la schizophrénie.

Tout le monde ne dispose pas de gros bahuts ou de tracteurs monstrueux pour bloquer la circulation.

(1) Les cas d’urgence continuent d’être assurés.

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