jeudi 22 novembre 2012

Principe de précaution


Pierre Pestieau

Début novembre une conférence sur le thème : Faut-il en finir avec le principe de précaution ? a eu lieu à Paris. Les universitaires se moquent souvent de journalistes et de leurs marronniers. Ils ont aussi les leurs : régulièrement cette thématique du principe de précaution revient avec des avis souvent diamétralement opposés alors qu’il s’agit d’un principe de bon sens, qui me rappelle un sujet de dissertation qui remonte à mes années de lycée. Il était tiré de Vol de Nuit d’Antoine de Saint-Exupéry : « La grandeur de ma civilisation, c'est que cent mineurs s'y doivent de risquer leur vie pour le sauvetage d'un seul mineur enseveli ». J’étais fasciné par cette phrase mais surtout par son antithèse que je m’étais fabriquée: « La grandeur d’une vie est de la sacrifier pour sauver celle de cent mineurs ».

L’ouvrage Théorie de la Justice du philosophe américain John Rawls (1) a été suivie d’un débat important sur l’arbitrage entre progrès et respect de la vie. Selon Rawls, un des principes fondamentaux de la justice est de mettre l’accent sur le bien-être des plus défavorisés. Poussé à son extrême, ce principe interdit toute initiative qui pourrait augmenter le bien être d’un grand nombre d’hommes sous prétexte qu’un seul pourrait y perdre la vie.

Cette discussion sur le principe de justice de Rawls précède celle du principe de précaution. Si j’en crois Wikipedia, le Pic de la Mirandole des temps modernes, ce principe est formulé pour la première fois en 1992 dans la Déclaration de Rio qui a fait suite à une conférence sur l’environnement: « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement ».

Dans les trois principes que je viens de citer (Saint-Exupéry, Rawls et Rio), je ne trouve pas gênant qu’il y ait débat. Ce qui l’est en revanche, c’est de voir des lobbys plus ou moins déclarés s’en emparer pour défendre des intérêts financiers ou politiques on ne peut plus partisans. On vient encore de le voir dans le débat sur les médicaments nocifs, les OGM ou sur l’avenir du nucléaire.

Suite à l'affaire Médiator, le grand public a pris conscience de l'emprise des firmes pharmaceutiques sur l'information à propos des médicaments. Les firmes mettent en valeur les effets thérapeutiques bien plus que les effets indésirables et un produit peut rester longtemps en pharmacie alors qu'il est dangereux. Le débat plus récent sur le rapport Seralini de l’Université de Caen sur de la nocivité des OGM a mis en évidence cette asymétrie entre les recherches partisanes financées par l’industrie, en l’occurrence Monsanto, et les recherches prétendument objectives que tentent de mener des associations de consommateurs et autres groupes indépendants. Le débat sur le nucléaire me semble plus complexe aussi longtemps que l’on s’inscrit dans la logique du toujours plus.

L’ouragan récent Sandy (2) nous remet ces beaux principes à l’esprit. L’image de Staten Island (3), dévastée par la tempête, et les eaux dans le pays le plus riche du monde, dans la ville qui fait rêver la terre entière, était désolante. Les pertes de vies humaines et les dégâts matériels énormes auraient pu être évités au nom du principe de précaution, mais cela aurait privé de nombreux sauveteurs d’illustrer la réflexion de Saint Ex.

Le monde est décidemment trop compliqué.

 (1) John Rawls, A Theory of Justice, Harvard University Press, 1971.
(2) Qui a sans doute fait moins de dégâts que l’ouragan Stéphanie qui s’est abattu sur la France en 1986 (réflexion pour les amateurs de chanson française).
(3) Un des cinq arrondissements (borough) de la ville de New York.

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