jeudi 14 février 2013

Les intermittences de la mort (suite sans fin)

Victor Ginsburgh


Malgré qu’il soit bien plus jeune que moi, mon ami blogueur parle beaucoup de la vieillesse ; elle me préoccupe moins, et n’est pas mon sujet de recherche. J’ai aussi lu l’ouvrage de Saramago (1), mais de façon différente, en y repérant ce qui m’amènerait à parler de ce dont je veux vraiment parler, les vers à soie, les champignons et les méduses. Avant d’y arriver, je veux vous citer l’un ou l’autre extrait qui devrait vous inciter, tout autant que ce qu’en dit Pierre Pestieau, à lire Saramago d’une autre façon aussi.

On y trouve notamment l’idée qu’il « faut user d’infiniment de précautions avec les mots, car ils changent d’avis comme les êtres humains » (p. 72) ou encore que

« sauf le problème des pensions, sauf le problème de la mort, sire, si nous ne recommençons pas à mourir, nous n’aurons plus d’avenir. Le roi fit une croix à côté du mot pensions et dit, Il faut qu’il se passe quelque chose, Oui, majesté, il faut qu’il se passe quelque chose » (p. 97),

qui a sûrement dû attirer l’attention de Pierre qui répète depuis bien longtemps « il faut qu’il se passe quelque chose », mais le roi ne l’a guère écoute jusqu’ici, hélas.

Je pourrais, ou plus exactement, je devrais m’arrêter là, parce que tout est dit, et que de toute façon, si vous avez lu le blog qui précède, vous connaissez l’histoire et sa fin. La vie ne peut être qu’une intermittence, et la mort doit durer plus longtemps. Encore que, page 82, il y a une question autrement plus grave

« que l’esprit qui plane au-dessus des eaux posa à l’apprenti philosophe. A quel moment meurt le ver à soie après s’être enfermé dans le cocon et en avoir refermé la porte à double tour, comment une vie a-t-elle pu naître de la mort d’une autre vie, et être la même chose différemment, ou le ver à soie n’est-il pas mort parce qu’il est vivant dans le papillon. L’apprenti philosophe répondit, Le ver à soie n’est pas mort, aucun cadavre n’est resté dans le cocon, c’est le papillon qui mourra après avoir pondu ses œufs ».

Le ver à soie serait-il donc immortel ? Pas sûr, mais humungus fungus pourrait bien l’être. C’est en tout cas l’organisme vivant le plus grand et le plus vieux sur terre. Il pèse 100 tonnes, on estime son âge à plus de 1.500 ans. Ce qu’on en voit sur l’image est petit par rapport aux 154.000 mètres carrés qu’il occupe sous terre, à Crystal Falls, Michigan (2). Humungus n’est pas un champignon hallucinogène, mais la légende veut que Bill Clinton ait essayé d’en fumer, sans préciser si c’est en compagnie de Monica. 

Certaines éponges peuvent atteindre l’âge de 10.000 ans. Mais si vous voulez l’immortalité biologique, il faut vous transformer en méduse turritopsis dohrnii ; ce n’est pas très tentant, mais c’est le prix à payer. Une fois adulte, cette méduse se met à rajeunir et finit par atteindre son stade initial de polype, puis un nouveau cycle recommence. Et pire (ou mieux, c’est selon ce que vous aurez retenu du blog de Pierre), cette méduse découverte il y a 25 ans sur la riviera italienne, se propage en survivant dans tous les océans et, rajoute le New York Times (3) « on peut imaginer qu’à terme, lorsque toutes les autres espèces auront disparu, l’océan se transformera en un grand amas de méduses immortelles, une éternelle et gigantesque conscience gélatineuse ». 

 (1) José Saramago, Les intermittences de la mort, Paris : Le Seuil, 2008.
(2) Hillary Rosner, In a place for the dead, studying a seemingly immortal species, New York Times, December 31, 2012. http://www.nytimes.com/2013/01/01/science/studying-seemingly-immortal-lichens-in-a-place-for-the-dead.html?pagewanted=all
(3) Nathaniel Rich, Can a jellyfish unlock the secret of immortality ?, New York Times, November 28, 2012. http://www.nytimes.com/2012/12/02/magazine/can-a-jellyfish-unlock-the-secret-of-immortality.
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