jeudi 18 avril 2013

En survolant la Mésopotamie


Victor Ginsburgh

Au-dessus de moi, le ciel est bleu, en dessous, « il » est plombé par des nuages et plus bas encore, invisible, la Mésopotamie, entre le Tigre et l’Euphrate. Un peu au nord-est, la Perse, Tabriz, le lac de Van. Au nord-ouest, Trébizonde, celle dont le poète Fernand Imhauser (1928-1968) qui ne voulait écrire qu’en alexandrins, chantait la beauté de femmes.

Tous ceux dont on nous rabâche les oreilles qu’ils sont nos ennemis : l’Irak, l’Iran, la Turquie que nous n’avons pas crue digne de rejoindre l’Union Européenne. Vive les pères de l’Europe, « une, grande et libre » comme disait de l’Espagne le général franquiste Millan Astray dans son « discours » de Salamanque, en 1936.

Alexandre le Grand avait fait bien mieux que tous nos Alexandre locaux. Il avait uni la Grèce—encore une pays auquel nous n’osons pas penser (1)—à l’Orient jusqu’à l’Hindus et à l’Afrique du Nord, y compris l’Egypte—l’horrible pays où règne l’incompétent (mais probablement pas méchant) Morsi.

Alexandre, c’était autre chose qu’Alexandre Giscard qui se dit d’Estaing, Alexandre Barroso qui se dit du Portugal et Alexandre Draghi qui se dit de la Banque Centrale Européenne, alors qu’il est de la Banque Goldman Sachs. Sans parler d’Alexandre le Belge qui se dit fils de Decroo et nous a valu 541 jours sans gouvernement.

Mais avec beaucoup de perspicacité et de raison, Alexandre le Grand avait évité ce piège à c… qu’était sans doute alors mais qu’est en tout cas devenue l’Europe, qui vient de créer une fois de plus une pagaille incroyable avec Chypre, un pour mille du PIB européen. La Californie, 13 pour cent du PIB américain, tombée en faillite, n’a pas fait la moindre vague dans la mer Egée.

Comme nous le savons, le danger ne venait pas d’Irak, il ne vient pas plus d’Iran, qui n’a commencé aucune guerre depuis bien longtemps, ni d’Egypte. Il ne vient pas non plus de Grèce, ni de Chypre qui sont bien trop petits. Il vient de nous, de ceux que nous avons élus (ce qui n’est évidemment pas le cas des eurocrates qui nous « dirigent ») et des innommables banquiers que nous ne parvenons pas à maîtriser. Jusqu’ici, on disait que les banques étaient « too big to fail ». Elles sont aussi devenues « too big to jail » (2).

Baudelaire a écrit « que le monde est grand à la clarté des lampes ». Encore nous faudrait-il des lampes. Baudelaire, toujours,

« Le monde, monotone et petit, aujourd'hui,

Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image:

Une oasis d'horreur dans un désert d'ennui! »

Sic transit gloria Europae.

 (1) Et qui est forcé de « privatiser » en vendant les propriétés de la République, et notamment ses ambassades à l’étranger. Voir The Guardian, April 5, 2013.
(2) Andrew Sorkin, Realities Behind Prosecuting Big Banks, The New York Times, March 11, 2013.

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