jeudi 30 mai 2013

Brèves de défouloir

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Pierre Pestieau

Gérer autrement
Dans un rapport (1) diffusé récemment et intitulé Gérer les enseignants autrement, la Cour des comptes française présente une analyse qui semble sortir tout droit d’une des nombreuses études consacrées par les économistes à la performance de l’éducation nationale et plus généralement des services publics. On y trouve des affirmations banales pour les économistes mais terriblement dérangeantes pour une bonne partie de l’opinion et en première ligne les enseignants. Notamment : « Le ministère de l’Education ne souffre pas d’un manque de moyens budgétaires ou d’un nombre trop faible d’enseignants mais d’une utilisation défaillante des moyens existants ». Autrement dit, on peut faire mieux à coût égal. Le rapport signale toute une série de dysfonctionnements qui sont autant de marges de manœuvre qui pourraient servir à revaloriser les enseignants, rétribués en dessous de la moyenne européenne hormis en fin de carrière. Ce qui me frappe dans ce rapport n’est pas le contenu mais ses auteurs : des magistrats.  C’est à croire que ceux qui désespèrent de voir la performance de l’Etat providence s’améliorer au travers de reformes entreprises ailleurs (dans les pays nordiques en particulier) devraient s’appuyer sur des magistrats qui peut être possèdent plus de prestige et d’autorité que les experts universitaires ou les cabinets de conseil privés.

Mobilité cognitive
Depuis la chute du rideau de fer, plus de 10% des mathématiciens de l’ancienne URSS ont émigré. Beaucoup, surtout les meilleurs, ont été accueillis aux Etats-Unis. Cet afflux soudain aurait obligé les mathématiciens américains d’émigrer à leur tour non pas dans l’espace géographique mais dans l’espace des idées. C’est ce que Borjas et Doran (2) appellent de la mobilité cognitive : Un phénomène qui doit se produire lors d’un afflux massif de scientifiques ou d’artistes de haut niveau ?

Ce que les Belges préfèrent
Parmi les messages publicitaires électroniques que j’ai reçus récemment, il en est un qui a retenu mon attention. Il s’intitulait Le chèque repas : l’avantage extra-légal préféré des Belges. Une économie de 56% par rapport à du salaire. Après une première réaction visant à me désinscrire, je me suis interrogé sur l’ironie de ce message ; c’est un peu comme si le syndicat du crime publiait dans tous les journaux Le cannabis : drogue préférée des Belges. Car on ne le répètera pas assez les chèques repas et autres voitures de fonction sont un poison pour notre fiscalité. Ils réduisent la base de l’impôt et conduisent à des taux d’imposition prohibitifs. Si l’on pouvait supprimer ces niches fiscales, nous aurions une fiscalité plus efficace et plus équitable.

Frilosité mortifère
Un thésard camerounais rencontré il y a un an avait obtenu une bourse pour passer un semestre dans le département d’économie de l’Université de Liège. Il attendait beaucoup de cette première expérience hors d’Afrique. Malheureusement malgré ses nombreux efforts, il n’a pas reçu le visa qui lui aurait permis de nous visiter.  Son séjour aurait été financé par un organisme de coopération international ; son retour au pays après six mois était garanti. Pourquoi tant de frilosité ? La Belgique a tout à y perdre.

Des chiffres à tout prix
Le 24 mars tous les journaux du pays ont publié la même nouvelle fracassante : L’économie au noir estimée à 63 milliards en Belgique. Elle représenterait aujourd’hui 16,4% du produit intérieur brut, un peu moins que les 17,8% de 2009, mais beaucoup plus que les 9,7% « observés » en France. Et le ministre en charge de la lutte contre la fraude fiscale de se féliciter de cette diminution. Il déclarait aussitôt : « Nous sommes sur la bonne voie ». J’ai déjà eu l’occasion dans ce blog d’expliquer pourquoi ces chiffres sont hautement fantaisistes, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y pas d’économie au noir en Belgique. Quelle en est l’importance ? Est-elle en hausse ? Est-elle plus élevée qu’en France ? On ne le sait pas et si vous voulez une réponse adressez-vous plutôt à Mme Soleil ou autre voyante qu’à cet expert qui fournit des estimations au dixième de pour cent près.

Frugalité et morale
Militant et collecteur de fonds, l’américain Dan Pallotta dénonce les obstacles dont souffrent les organisations caritatives, obstacles qui les empêchent de réaliser leurs missions. Il nous rappelle dans un clip que je vous recommande (3) que les contributions charitables ne représentent que 2% du PIB américain et que ce taux n’évolue pas depuis plusieurs décades. Il voit la raison majeure de cette stagnation dans leur culture de la frugalité : peu de frais généraux, faibles rémunérations des gestionnaires, campagnes publicitaires minimales. Il reproche au secteur philanthropique  d'assimiler la frugalité à la morale, et il lui demande d’abandonner cette approche de patronage.
Pas un seul mot sur la possibilité de s’appuyer sur l’Etat pour remplir ces missions que sont la lutte contre la pauvreté, le financement de la recherche fondamentale , la protection de l’environnement et le soutien à la production artistique. On croit rêver.
Cela me ramène à une anecdote. Il y a une quinzaine d’années un de mes amis collectait des fonds pour la recherche consacrée à la lutte contre la pauvreté et la faim dans le Tiers Monde. Il recevait à Liège les donateurs potentiels dans les meilleurs restaurants de la ville. Souvent ils venaient d’agences de développement de pays nordiques. Et il m’invitait parfois à ces agapes. Devant mon étonnement devant ces dépenses de table pour obtenir des fonds pour lutter contre la faim, il m’expliquait patiemment que par expérience les contributions qu’il recevait étaient fonction de la générosité de son accueil, plus précisément de la qualité des vins et des plats. C’était sans doute vrai en l’occurrence mais ne me rassurait guère.

(1) <http://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Gerer-les-enseignants-autrement>
(2) George Borjas et Dirk Doran (2013), Cognitive mobility: labor market responses to supply shocks in space of ideas, NBER Working Paper 18614
(3) <http://www.ted.com/talks/dan_pallotta_the_way_we_think_about_charity_is_dead_wrong.html>

Les pommes sont pourries

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Victor Ginsburgh

Je suis un de ceux qui ne jurait que par Apple.

Mais voici. La Pomme, vient à peine de sortir d’une accusation concernant les maltraitances que ses sous-traitants font subir aux ouvriers chinois, en ce compris l’une ou l’autre explosion qui a tué quelques personnes. Les travailleurs sont soumis à des horaires épouvantables — certains racontent qu’ils en ont les jambes tellement gonflées qu’ils parviennent à peine à se tenir debout après la journée de travail—, ils sont amenés à utiliser des produits nocifs dans leur travail et sont logés dans des dortoirs surchargés. Des calicots flottent sur les murs des usines qui expliquent de manière à peine menaçante « qu’il faut travailler dur aujourd’hui, sans quoi il sera difficile de trouver du travail demain »  (1).

La Pomme subit depuis peu de temps une chute assez brutale de ses cours en bourse. Passés de $200 en janvier 2010 à $700 en septembre 2012, ils se retrouvent à moins de $400 en ce moment. On ne plaindra quand même pas trop ceux qui les avaient achetés avant janvier 2010.

Enfin, La Pomme subit les foudres (on verra que ce n’est pas très foudroyant un peu plus loin) d’une Commission sénatoriale américaine pour évasion (pas fraude) fiscale (2). Sur certains de ces revenus (quelques milliards de dollars), la firme paie moins d’un pour cent d’impôts au lieu de 35% qu’elle devrait, en se déclarant « résident d’aucun pays ».

Mais tout ceci est maintenant bien connu. Ce qui l’est sans doute un peu moins c’est l’accueil et l’admiration que ces dernières manœuvres ont reçu de la part des sénateurs républicains (à l’exception, il faut le reconnaître, de John McCain, le candidat républicain qui a perdu contre Obama en 2008) devant lesquels le nouveau patron d’Apple, Tim Cook, s’est expliqué. En bref, tout cela est très bon pour les actionnaires, l’Etat taxateur est méchant, et le rouler est en réalité presque une bonne action.

Le sénateur républicain Rand Paul qui se réclame du Tea Party faisait partie de la Commission. Il explique que ce serait de la « mauvaise pratique » de la part d’un responsable financier de ne pas faire tout ce qu’il peut pour minimiser la charge fiscale de la société dont il gère les finances. Bien vu, Rand Paul est un sénateur, ophtalmologiste de métier.

Tim Cook aurait modestement déclaré qu’il aurait pu faire mieux encore, mais son « honnêteté » l’a poussé à s’abstenir. Sous-entendu, Apple est « plus honnête » que bien d’autres. Evidemment lorsque les montants de revenus « évadés » sont rapatriés aux Etats-Unis, des impôts sont à payer, mais dit encore Cook, il espère bien que pour inciter les industriels à rapatrier ces fonds, il faudra, cela va de soi, réduire le taux de taxation… (3).

Ce qui fait dire au New York Times (4) que les sénateurs américains estiment qu’il vaut mieux être fraudeur (5) que collecteur d’impôts. Et à un éditorialiste du même journal d’écrire que Cook leur ment en faisant apparaître le soleil en pleine nuit (6), ce qu’ils trouvent admirable. Il faut bien dire que les législateurs qui créent les imperfections et les trous dans le système fiscal sont aussi les premiers à profiter desdites imperfections. Rappelez-vous du républicain à la Présidence en 2012, dont le taux d’impôts était moins élevé que celui d’un simple ouvrier.

Ce système n’est pas tout à fait inconnu en Europe non plus d’ailleurs.

(1) C. Duhigg and D. Barboza, In China, human costs are built into an iPad, The New York Times, January 25, 2012. http://www.nytimes.com/2012/01/26/business/ieconomy-apples-ipad-and-the-human-costs-for-workers-in-china.html?pagewanted=all
(2) La fraude est illégale, et punissable. L’évasion tire profit des possibiltés offertes par l’administration fiscale, et n’est donc pas punissable. Ce qui ne veut pas dire que l’évasion est éthique.
(3) F. Norris, The corrosive effect of Apple’s tax avoidance, The New York Times, May 23, 2013. http://www.nytimes.com/2013/05/24/business/making-companies-pay-taxes-the-mccain-way.html?pagewanted=all&_r=0
(4) M. Shear, Torches and pitchforks for I.R.S but cheers for Apple, The New York Times, May 22, 2013.
(5) En fait, ce à quoi s’adonne Apple, c’est de l’évasion et pas de la fraude fiscale.
(6) J. Nocera, Here comes the sun, The New York Times, May 22, 2013. http://www.nytimes.com/2013/05/23/opinion/nocera-here-comes-the-sun.html?nl=todaysheadlines&emc=edit_th_20130523

mercredi 22 mai 2013

Opéra-ci Opéra-là

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Victor Ginsburgh (1)

Peter de Caluwé (qui dirige l’Opéra de la Monnaie) a annoncé que la prochaine saison serait « engagée » en invitant son public à se  rebeller pacifiquement et à faire sienne la phrase d’Albert Camus « La conscience vient au jour avec la révolte » (2). Il se fait qu’à peu près au même moment, j’étais à l’opéra de Sydney, écoutant le pas très révolutionnaire Orphée aux Enfers d’Offenbach. Vous me direz que cela ne vaut pas La Muette de Portici qui a porté la révolution belge en 1830, mais il se fait que la salle de 1.500 places était quand même comble, parce que le texte avait été changé pour refléter les préoccupations politiques australiennes du moment, avec les socialistes au pouvoir, en grande bagarre avec les libéraux. Ca ne vous rappelle rien ?

Il n’empêche que le nouveau Ministre australien des Arts est, tout en étant socialiste, « séduit par la politique économique et la poésie » (3). Il joue de la guitare et du piano, va régulièrement à l’opéra et au théâtre et lit tous les jours quelques poèmes de T. S. Eliot ou de Keats. Il vient de promettre €60 millions supplémentaires au Conseil des Arts. Ce qui, étant donné le rapport des PIB des deux pays, représenterait €20 millions en Belgique.

Qui de nos ministres de la culture va à l’opéra, lit l’équivalent d’Eliot ou de Keats (4), en néerlandais ou en français ? Lequel sait que la Monnaie nécessite d’être restaurée de fond en comble, qu’un tiers des locaux du Conservatoire de Bruxelles est fermé pour raisons de sécurité et que la salle de concerts du Conservatoire tombe en ruines. Et qu'hier on célébrait le bicentenaire de la naissance de Wagner?

Il faut bien admettre que l’opéra coûte cher. Et du temps où j’y avais un abonnement, je côtoyais très souvent des eurocrates (qui n’étaient pas comme moi logés au quatrième balcon). Est-il vraiment raisonnable que ceux qui paient leurs impôts en Belgique et se trouvent au quatrième balcon subventionnent ceux qui n’en paient guère et se trouvent aux premiers rangs?

Je veux bien « entrer en résistance » avec M. de Caluwé, mais je pense que la première révolte doit être contre ce qui se passe dans l’enseignement musical à l’école et au lycée. Lamentable, voyez ce qu’en dit en 2012 Brigitte Van Wymeersch,  professeur de musicologie de l’UCL (5).

Faut bien dire que c’est peu glorieux. A l’école primaire, tout en n’étant pas supprimé, l’enseignement musical n’est plus donné par des professionnels de la musique : les professeurs d’académie ne peuvent plus faire ces cours. Les enseignants ne sont donc pas formés à la musique. Pire, l’enseignement est laissé au bon vouloir des enseignants et n’est donc plus « inspecté ». Dans les deux premières années du lycée, ces charges existent encore à raison d’une demie heure par semaine. Et puis plus rien. Et ce n’est malheureusement pas la journée européenne de l’Opéra du 12 mai dernier qui changera la donne.

Cela vaut peut-être la peine de rappeler qu’au Royaume-Uni, il y a 60 orchestres professionnels, que la BBC en compte 5 alors que la Radio Télévision belge en compte zéro. Il y a 86 orchestres en Allemagne, 35 en Finlande, 33 en France, 22 en Hongrie, 22 au Portugal, 18 en Irlande, 16 au Pays-Bas (6) et 11 en Belgique. Le Vatican a un orchestre pour 832 habitants.

Il n’y a guère que la France et les Pays-Bas qui font moins bien que la Belgique par habitant. Une inspiration certaine pour les ministres belges : il faut réduire le nombre d’orchestres.


(1) Version révisée d’un article paru le 27 mars 2013 sur le site RTBF Opinions. Merci à Pierre Kolp pour les renseignements qu’il a bien voulu me donner sur ce qui se passe à l’école primaire et au lycée.
(2) Voir http://www.lamonnaie.be/fr/312/Présentation-saison-2013-2014
(3) The Sydney Morning Herald, 26 mars 2013.
(4) Je conseille à la responsable de la culture au niveau fédéral, qui habite Lasne (la commune la plus chère de Belgique), mais se présente aux élections à Schaerbeek (une des communes les plus pauvres de Bruxelles) d’aller voir Eliot sur http://fr.wikipedia.org/wiki/T._S._Eliot et Keats sur http://fr.wikipedia.org/wiki/John_Keats.
(6) http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_symphony_orchestras_in_Europe

Charité bien ordonnée commence par soi-même

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Pierre Pestieau

J’ajouterais à ce dicton: et « finit par soi-même ».  C’est là l’enseignement d’un livre récent de Ken Stern (1) qui porte sur les contributions charitables aux Etats-Unis. Celles-là même que de nombreux conservateurs verraient bien remplacer les taxes qui financent nos Etats- providence. L’ouvrage illustre deux faits surprenants sur la pratique des contributions charitables. Tout d’abord, ce sont ceux qui peuvent le moins se le permettre qui contribuent le plus en pourcentage de leur revenu. En 2011, les Américains les plus pauvres – ceux dont les revenus appartiennent à la tranche inférieure des 20 pour cent – donnent 3,2 pour cent de leur revenu aux œuvres charitables. Les 20 pour cent dont les revenus sont les plus élevés y ont consacré en moyenne 1,3 pour cent. Cette différence est en réalité plus importante qu’il ne paraît du fait que, contrairement aux donateurs plus aisés, la plupart des moins riches ne peuvent pas profiter de la moindre déduction fiscale de leurs dons.

L’autre fait surprenant a trait aux œuvres ou fondations qui bénéficient de la générosité des riches ; elles n’ont souvent rien à voir avec la précarité ou l’exclusion. Parmi les 50 plus importants dons individuels en 2012, 34 sont allés aux institutions d'enseignement, la grande majorité d'entre elles étant les universités, qui comme Harvard, Columbia ou Berkeley s'adressent à l'élite. Les musées et les organismes artistiques tels que le Metropolitan Museum of Art ont reçu neuf de ces dons majeurs. Les dons restants se répartissent entre les institutions médicales et les organismes de préservation de l’environnement comme le Central Park Conservancy. Pas un seul n’est allé à une œuvre sociale qui sert principalement les pauvres et les dépossédés.

En soi, ces faits ne seraient pas choquants. Après tout si le système fiscal et la protection sociale d’un pays jouaient leur rôle redistributif, rien de plus normal que les ménages les plus aisés veuillent financer des projets qu’ils jugent prioritaires dans les domaines de l’art, de l’environnement et de la recherche. Il y a problème lorsque les pouvoirs publics ne remplissent pas ce rôle et qu’il sont poussés en cela par les mouvements de conservateurs compassionnels (compassionate conservative) (2) qui, précisément, veulent remplacer les impôts par ces contributions charitables.

On m’objectera que tout cela se passe loin de chez nous. Pas si sûr. Il y aussi des conservateurs compassionnels dans notre vieille Europe.

(1) Ken Stern (2013), With Charity for All: Why Charities Are Failing and a Better Way to Give, Random House.
(2) Bel exemple d’oxymore pour reprendre un mot à la mode.

jeudi 16 mai 2013

Mais où sont les funérailles d’antan?

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Pierre Pestieau

Il y a quelques années et en guise de boutade à un collègue qui me demandait sur quoi j’allais travailler après avoir consacré plusieurs années de recherches aux retraites et à la dépendance, j’ai lancé : l’économie des funérailles, ajoutant que le premier article aurait un titre digne de Shakespeare: Enterrement ou crémation, c’est la question. Etait-ce une simple boutade? Non dira un bon économiste.

Tout naturellement il ne résistera pas à la classique analyse coûts/avantages.
Coûts financiers d’abord. En général, la crémation est nettement moins chère que l’inhumation, mais ces coûts privés ne prennent pas en compte l’impact environnemental qui est plus incertain.

Du côté des avantages, on aurait tendance à trouver l’inhumation plus vieillotte et la crémation plus moderne. La visite des cimetières fait partie de la tradition ; on y découvre, à l’occasion de la fête des morts ou de funérailles, les pierres tombales sur lesquelles sont gravés les noms de parents que l’on a peut être oubliés ou que l’on n’a jamais connus. Les « grandes » familles s’y révèlent par leurs caveaux, souvent luxueux au départ, mais aussi souvent à l’abandon aujourd’hui. Ces expériences de mémoire ne sont pas imaginables dans un columbarium (du latin « niche de pigeon »), et a fortiori si les cendres sont dispersées. En revanche, les cimetières sont tristement des lieux d’exclusion et de profanation. Les suicidés n’y avaient pas leur place. Les extrémistes s’y défoulent de temps à autre, ce qui est choquant mais, tout de même, moins que s’ils s’en prenaient à des vivants.

Le coût relatif joue un certain rôle dans l’augmentation des crémations, comme la mobilité croissante. Même en Europe, nous ne vivons plus là où nos ancêtres ont vécu et sont morts. En Amérique du Nord cela a toujours été le cas. Dans ces conditions, les cimetières ne peuvent plus être un lieu de retrouvailles régulières. Il y a aussi le temps. Les gens pressés n’ont plus le loisir de passer une journée entière à ces funérailles que Brassens a si bien chantées. L’incinération surtout quand elle se termine par une dispersion des cendres est apatride et dans ce sens plus moderne.

Outre les facteurs économiques, certains facteurs légaux et religieux ont pu expliquer pourquoi la crémation a connu un démarrage lent dans nos contrées. En France, elle n’est autorisée que depuis 1889. Il faudra attendre le début des années 1990 pour que la crémation cesse d’être qu’une pratique anecdotique, signe, le plus souvent, d’un esprit ouvertement libre-penseur et détaché des croyances et pratiques religieuses. L’Eglise catholique ne lèvera son interdit qu’en 1963. Selon les associations crématistes (et non pas naturistes), en 1980, cette pratique était à peine choisie par un pour cent des familles françaises. En 1994, on passe à 10,5%. Aujourd’hui, on est à 30%.

Je ne peux résister à évoquer deux belles pages du cinéma en faveur de l’une ou de l’autre « technique ». Il y a cette séquence de Big Lebowsky des frères Cohen où les deux protagonistes dispersent les cendres de leur ami mort d’une crise cardiaque au bord d’une falaise donnant sur le Pacifique. Au moment où ils procèdent à cette dispersion tant voulue par leur ami, une bourrasque rabat les cendres sur eux qui s’en trouvent nappés, comme couverts de neige. Un bon vieil enterrement leur aurait évité cette situation ridicule.

Il y a aussi le film Guantanamera qui narre le transport rocambolesque d’un défunt à travers Cuba. A la fin d’un long périple le cercueil s’ouvre accidentellement et révèle un défunt qui n’est pas celui que l’on voulait transporter. Cela ne serait pas arrivé avec une bonne crémation. Les cendres n’ont pas de couleur, sauf lorsqu’on s’en trouve nappé...

Les affres de la SABAM

2 commentaires:

Victor Ginsburgh et Xavier Wauthy

La société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs (SABAM) assigne Belgacom, Telenet et Voo en vue de leur réclamer des droits d’auteurs, du fait que ces sociétés offrent la possibilité à leurs abonnés de télécharger (légalement et illégalement) des films et de la musique de façon illimitée et à très haut débit, alors que les droits perçus par la SABAM ont baissé de 54% depuis 2000.

Après des négociations infructueuses, la SABAM a pris la décision de placer ce débat de principe sur le terrain judiciaire en introduisant le 12 avril dernier une action devant le tribunal de Première Instance de Bruxelles.

Avec cette action, la SABAM souhaite obtenir la reconnaissance de l’applicabilité du droit d’auteur à l’activité de fournisseur d’accès à internet et, en conséquence, percevoir une redevance correspondant à un pourcentage (3,4%) sur leur chiffre d’affaires (1).

Les signataires de l’article qui suit soutiennent cette action courageuse et proposent de l’élargir de la manière suivante, qui est à la fois simple et efficace et qui complète parfaitement la requête précédente.

« Tous les centres commerciaux dans lesquels se trouvent des magasins qui vendent des CD, DVD, livres et autres produits (neufs ou d’occasion) protégés par le copyright devraient verser 3,4% de leur chiffre d’affaires à la SABAM parce qu’ils tirent profit de la location des espaces commerciaux dans lesquels ces contenus sont vendus.

« Par extension, toutes les communes, régions, pays, unions de pays et continents qui autorisent ces centres commerciaux à s'implanter sur leur territoire devraient reverser 3,4% de leurs recettes fiscales à la SABAM. Les îles Pitcairn situées dans le Pacifique Sud (47 km carrés et 48 habitants, qui descendent des mutinés du Bounty) sont exemptées. On espère que les centres commerciaux ne vont pas tous se délocaliser dans cette l’île.

« Par inversion causale, tout membre de la SABAM qui autorise la vente des contenus dont il est titulaire dans ces centres commerciaux devrait verser 3,4% des droits que la SABAM lui verse, à la SABAM, parce qu'il tire profit des services de la SABAM.

« Par extension encore — et parce que when the rule is bad, change the rule, quand la réglementation n’est pas bonne, y a qu’à la changer — il devrait en être de même pour quiconque n’est pas membre de la SABAM, tout simplement parce qu’il a tort de ne pas l’être.

« Bref: Toute personne qui tire des revenus de quelque ordre que ce soit à proximité raisonnable d'un centre commercial ou d'une commune, région, pays, union de pays ou continent qui autorise l'implantation de centres commerciaux doit reverser 3,4% de ceux-ci à la SABAM. Les îles Pitcairn font exception à ce principe.

« Au fait pourquoi seulement 3,4% ?

« Les signataires proposent un prix scientifique doté de 6,8% de leurs droits d’auteurs à quiconque démontrera la conjecture mathématique suivante : 

« Conjecture de GW : Il n’existe aucun nombre transcendant (réel ou complexe) d’euros fini suffisant pour satisfaire les appétits des sociétés qui collectent les droits d’auteur. »



(1) Cette information est un résumé du communiqué de presse de la SABAM, dont l’intégralité peut être trouvée sur http://www.sabam.be/sites/default/files/pdf/persbericht_fr_30042013.pdf. Il n’y a aucun droit d’auteur à payer à la SABAM si vous téléchargez ce texte, que ce soit de manière légale ou illégale.

mercredi 8 mai 2013

Les cumuls de C.

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Victor Ginsburgh
On n’a jamais deux fois l’occasion de se faire une première impression (Héraclite).

Comme certains ont pu s’en apercevoir je collectionne des portraits depuis la semaine dernière. Voici le deuxième.

Ma première et heureusement dernière rencontre avec le personnage (que je prénommerai C. dans la suite) a eu lieu chez le Recteur de l’Université Libre de Bruxelles il y a quelques années. Il s’agissait de discuter l’idée de créer une société de collecte (et peut-être de redistribution) de droits d’auteurs sur les photocopies, un droit qui porte le nom fumeux, mais qui fait sérieux, de reprographie, qui s’ajoute aux quelques centaines d’autres mots qui se terminent par -graphie (2).

Ce devait être peu de temps après la création de Reprobel, « une société coopérative qui représente quinze (!) sociétés belges de gestion des droits des auteurs et des éditeurs afin de percevoir et répartir aux ayants droit la rémunération pour reprographie » qui sont faites de leurs œuvres.

C., qui comme moi était conviée à la rencontre chez le Recteur, proposait de créer une société commune à toutes les universités belges de langue française. De cette manière prétendait-elle, les prélèvements sur les photocopieuses censés alimenter Reprobel seraient versés à une société interuniversitaire qui se chargerait de les redistribuer à leurs professeurs, chercheurs, et autres même s’ils ne publient pas grand-chose. Inutile de dire que les propositions faites au recteur (pas par moi, parce que je trouvais qu’il fallait que les universités se mettent d’accord et refusent de s’acquitter de ce nouveau droit ridicule, qui viole l’idée essentielle du droit d’auteur : à savoir celui qui utilise ou viole le droit paie à celui qui est utilisé ou « violé ») ont lamentablement échoué. Mon idée aussi d’ailleurs, et Reprobel continue évidemment d’encaisser, comme les membres inscrits chez Reprobel, qu’ils aient ou non été photocopiés et qu’ils aient ou non publié.

Et voilà que je retrouve C. dans L’Echo du 14 février 2013, avec le sous-titre bouleversant de « L’affaire C. bouleverse l’équilibre ». Il ne m’en faut pas plus pour essayer de comprendre ce qui arrive à cette vieille branche. Voici ce qu’en dit L’Echo:

« [Juriste] spécialiste des media, C. siège chez Belgacom depuis 2004. Or C. affronte au quotidien les décideurs de … Belgacom TV lors de [ses négociations relatives aux] droits de diffusion des chaînes étrangères (3) pour le compte de son cabinet d’avocat ».

C. rétorque évidemment « qu’il n’y a pas entorse à la gouvernance », mais rajoute L’Echo, « le mélange des genres pour lequel C. est pris(e) pour cible pourrait lui coûter sa place ». Fini les €5.000 euros par séance du Conseil d’Administration de Belgacom, où le personnage intervenait aussi comme avocat (avec des honoraires s’élevant à plus de 44.000 euros, un montant insignifiant selon le ministre socialiste responsable de la chose à l’époque).

Heureusement, rapporte aussi L’Echo, « tout le monde sait que C., proche du Parti Socialiste, vient d’être nommé(e) par l’Etat chez Belfius ». Ce qui lui permettra de rattraper la perte du côté Belgacom.

Dans la cour des grands, il n’y a pas de petits cumuls. Voyez quand même l’article qui suit de Pierre Pestieau, qui joue, lui, dans la cour des petits cumulards.

(1) Ce n’est pas de moi, mais je ne sais plus où j’ai trouvé ces deux très jolies phrases.
(2) Voir http://fr.wiktionary.org/wiki/-graphie pour une bien longue liste.
(3) Il s’agit des chaines allemandes ARD et ZDF qui ont d’ailleurs disparu de nos écrans.

Mini cumuls

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Pierre Pestieau

Il y aurait dans l’Allemagne d’aujourd’hui quelque 7 millions de mini-jobs à 450 euros mensuels. Le chiffre revient ces temps-ci dans toutes les discussions qui critiquent le modèle allemand capable de faible taux de chômage mais d’un grand nombre de « working poors ». Un chiffre qui a besoin d’être interprété. En effet moins de 3 millions de ces mini-jobbers y trouvent leur emploi principal. Pour les autres 4 millions (beaucoup d'étudiants, de retraités ou de mères au foyer) il s’agit d’un emploi d’appoint.

Ces « mini jobs » sont non imposables et exonérés de charges sociales. Entrés en vigueur en 2003, durant le gouvernement de Gerhard Schroeder, ils correspondent à des emplois à temps partiel dont le salaire maximum est de 450 euros.
Les personnes employées sous ce régime ont droit à des vacances payées, à un congé de maternité et à des congés maladie. Cependant, la pension du travailleur rémunéré à 450 euros serait, pour 45 ans de carrière, égale à 140 euros par mois, une véritable bombe à retardement pour la société allemande. 
Pour l’instant, ce n’est pas un problème mais une solution pour certains retraités. En effet, il est possible de combiner une retraite légale avec un mini-job. Cette possibilité peut être interprétée de deux façons. De façon négative ou positive. Négative, à la manière de ces reportages montrant un vieil Américain travaillant dans un McDonald pour pallier une retraite trop faible. Le ton est alors : On ne permettrait pas cela chez nous. C’est ainsi que certains en France et en Belgique ont présenté les retraités recourant aux mini-jobs pour augmenter leurs revenus ou simplement pour rester actifs. Si l’objet de la critique est de signifier qu’il vaudrait mieux avoir des retraites plus généreuses, qu’on le dise directement. Mais la question est comment les financer. La façon positive consiste à reconnaître que dans la mesure où on ne peut s’attendre à de fortes augmentations des petites retraites, beaucoup seraient favorables à travailler et toucher un revenu qui échappe à l’impôt et aux charges sociales de manière tout à fait licite. Il faut en effet rappeler qu’en Belgique les revenus du travail qu’un retraité peut toucher sont plafonnés et soumis à l’impôt et aux cotisations sociales. Son seul recours est de travailler au noir. En France, depuis 2009 la loi a évolué ; il est désormais possible de cumuler intégralement une pension et un revenu d’activité.
La raison majeure pour laquelle les seniors se trouvent contraints de reprendre une activité est liée aux imprévus multiples auxquels ils peuvent faire face : des enfants en difficulté, une séparation ou un divorce, des frais médicaux exceptionnels, une cessation d’activité prématurée. Avec la crise, ces circonstances vont se multiplier et il me semble important de pouvoir donner aux retraités cette bouée d’oxygène que constitue cette possibilité de reprendre un emploi, de se « déretraiter » comme disent les américains (unretirement). Je ne suis pas sûr que les mini-jobs soient la bonne solution, mais ils ont le mérite d’en être une.


mercredi 1 mai 2013

Le retour des experts

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Pierre Pestieau

L’édition belge de Marianne (1) vient de consacrer aux experts un dossier qui se place dans la ligne du livre de Laurent Mauduit Les Imposteurs de l’économie (2). Cet ouvrage s’en prend à une petite communauté jusque-là préservée des regards trop inquisiteurs : les économistes, du moins ceux qui vivent à Paris, et qui sont des habitués des médias. Il y est montré comment le monde de la finance « a réussi son OPA sur celui des économistes », tissant de nombreux liens avec ces derniers, et minant, selon lui, leur indépendance. Mauduit y voit une des raisons de la permanence de la pensée libérale et un accroc à la démocratie. L’article de Marianne n’est pas aussi agressif que Mauduit, mais racoleur dans son titre : Les experts : savants, guignols ou imposteurs. Il s’interroge cependant sur la raison pour laquelle nous avons besoin d’experts. Ont-ils vraiment l’expertise qu’on leur prête ? Sont-ils totalement indépendants des groupes financiers ou de toute idéologie ? On retrouve ici le dilemme qui devrait s’avérer faux en politique : honnête ou compétent, mais qui souvent ne l’est pas.

Mauduit rappelle que lorsqu’un expert économiste est présenté sur un plateau de télévision, il le sera comme professeur d’une institution universitaire, et non pas comme consultant régulier de tel ou tel groupe financier ou industriel. En bref, c'est un homme libre, sans attaches. Si c’est le cas tant mieux, sinon...

Je me souviens des interventions de Daniel Servan-Schreiber prématurément disparu qui défendait avec bagout son livre Guérir. L’homme était séduisant ; il avait une double affiliation scientifique, française et américaine. Ce livre a été un best-seller et, à sa suite, la demande en gélules à base d'oméga-3 a énormément augmenté. Considérant que le marché français ne proposait pas de gélules d'une qualité suffisante, Servan-Schreiber a contribué à la formation d'une société commerciale dont il a créé et dirigé le conseil scientifique. Cela lui a valu des critiques sur un lien supposé entre les deux événements. Je dois avouer qu’à partir de là je n’ai plus pu l’écouter avec la même oreille et ai arrêté d’avaler des oméga-3…

Mais revenons à notre propos. Pourquoi les journalistes font-ils appel à des experts ? J’y vois plusieurs raisons. Parce-ce qu’il est possible de leur faire dire en 30 secondes quelque chose de convenu mais qui venant de leur bouche paraît objectif, voir scientifiquement établi. Et aussi, pour créer un soi-disant débat d’idées qui lui aussi est parfaitement convenu. On oppose des points de vue différents connus d’avance. L’avantage de cette formule est de faire de l’audimat si le débat est suffisamment saignant. Ce qui me dérange est que ces experts sont de véritables Pic de la Mirandole ; il sont le plus souvent interrogés sur des sujets qu’ils maitrisent à peine. L’idéal serait que  l’expert soit consulté sur un problème auquel il a travaillé sérieusement et dont il est aussi capable de parler de manière accessible pour éclairer l’auditeur. Cette situation où le vrai expert aurait un rôle à jouer est malheureusement assez rare. Le spécialiste capable de communiquer n’est pas fréquent, et il n’est pas certain que le public soit friand d’information sérieuse.

Je regardais il y a peu un débat sur la crise Chypriote dans une émission de débat qui passe sur France 5 : C’est en l’air. Sur le plateau, quatre spécialistes, des habitués. Erreur de casting, l’un des « experts », un politologue connu, ne semblait pas connaître le sujet, ce qui ne l’empêchait pas d’occuper son temps de parole sans aucune vergogne. Il parlait vraiment en l’air. C’est le cas où, naïvement, on aimerait que l’expert refuse l’invitation d’aborder un sujet dont il n’est ni un spécialiste ni même un honnête homme averti.

Chacun d’entre nous est fait de contradictions. Nous nous plaignons de la complexité du monde et aimerions le comprendre mieux. Mais nous sommes aussi trop pressés ou trop fatigués pour prendre le temps de le comprendre. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les médias fassent appel à des experts qui, pour reprendre l’expression de Patrick Le Lay, ex PDG de TF1, ménagent notre « temps de cerveau humain disponible ».

L’article qui suit donne un exemple d’expert sorti de l'imagination fertile de mon collègue blogueur.

(1) Marianne, Les experts. Savants, guignols ou imposteurs, 22 mars 2013.
(2)  Paris : Jean-Claude Gawsewitch, 2012.

Portrait. Le comptable et le philosophe

1 commentaire:

Victor Ginsburgh

« L’homme parfait est sans moi, l’homme inspiré est sans œuvre, l’homme saint ne laisse pas de nom ». (Tchouang-Tseu, philosophe chinois du 4e siècle avant J.C.)

Celui dont je veux parler n’est pas « sans moi », il est plutôt « surmoi ». Il est loin d’être « inspiré », et c’est bien la raison pour laquelle il écrit un nombre innombrable d’articles sur un nombre encore plus grand de sujets et on peut vraiment estimer qu’il est et restera « sans œuvre », si ce n’est un doctorat en comptabilité. Je ne peux guère juger de sa sainteté, sauf que je sais qu’il a démissionné vite fait bien fait d’une université, mais s’est aussi sec fait embaucher dans deux autres. Il fait néanmoins peu de doute qu’il ne laissera derrière lui aucun nom. Ce n’est pas un grand défaut, je n’en laisserai pas non plus.

Il paraît assez évident que ce comptable indigène n’a jamais croisé le chemin du philosophe chinois Tchouang-Tseu. A une question qui lui a été posée par un journaliste sur son don de l’écriture (comptable ?) il répond avec beaucoup de simplicité :

« C'est moins la passion de l'écriture au sens strict que celles de l'apprentissage et de la conceptualisation qui m'animent. J'éprouve le besoin profond de me poser chaque week-end, à la campagne et dans la marche, afin de ranger mes pensées, de consacrer du temps à l'écriture de ces articles et à la préparation des conférences quasiment quotidiennes auxquelles je suis invité. Au fil des ans, je me suis exercé à entretenir conjointement ces passions, mes activités professionnelles et mes recherches académiques avec l'envie que le tout façonne un ensemble assez cohérent ».

C’est pas mal dit, on voit qu’il sait causer comme il écrit.

Pour le reste, je dirai en reprenant une bribe d’un célèbre discours de Miguel de Unamuno, un autre philosophe, cette fois espagnol (1) :

« Je serai bref. La vérité est davantage vraie quand elle se manifeste sans ornements et sans périphrases inutiles ».

Et je n’ai rien contre les comptables, puisque j’ai pendant plusieurs années enseigné cette huitième merveille du monde dans mon université.

Ceci constitue le premier portrait que je me suis payé et qui fait maintenant partie de ma collection. Il est accroché sur un mur privilégié.


(1) http://passouline.blog.lemonde.fr/2007/01/08/le-discours-de-salamanque-reconstitue/