mercredi 1 mai 2013

Le retour des experts


Pierre Pestieau

L’édition belge de Marianne (1) vient de consacrer aux experts un dossier qui se place dans la ligne du livre de Laurent Mauduit Les Imposteurs de l’économie (2). Cet ouvrage s’en prend à une petite communauté jusque-là préservée des regards trop inquisiteurs : les économistes, du moins ceux qui vivent à Paris, et qui sont des habitués des médias. Il y est montré comment le monde de la finance « a réussi son OPA sur celui des économistes », tissant de nombreux liens avec ces derniers, et minant, selon lui, leur indépendance. Mauduit y voit une des raisons de la permanence de la pensée libérale et un accroc à la démocratie. L’article de Marianne n’est pas aussi agressif que Mauduit, mais racoleur dans son titre : Les experts : savants, guignols ou imposteurs. Il s’interroge cependant sur la raison pour laquelle nous avons besoin d’experts. Ont-ils vraiment l’expertise qu’on leur prête ? Sont-ils totalement indépendants des groupes financiers ou de toute idéologie ? On retrouve ici le dilemme qui devrait s’avérer faux en politique : honnête ou compétent, mais qui souvent ne l’est pas.

Mauduit rappelle que lorsqu’un expert économiste est présenté sur un plateau de télévision, il le sera comme professeur d’une institution universitaire, et non pas comme consultant régulier de tel ou tel groupe financier ou industriel. En bref, c'est un homme libre, sans attaches. Si c’est le cas tant mieux, sinon...

Je me souviens des interventions de Daniel Servan-Schreiber prématurément disparu qui défendait avec bagout son livre Guérir. L’homme était séduisant ; il avait une double affiliation scientifique, française et américaine. Ce livre a été un best-seller et, à sa suite, la demande en gélules à base d'oméga-3 a énormément augmenté. Considérant que le marché français ne proposait pas de gélules d'une qualité suffisante, Servan-Schreiber a contribué à la formation d'une société commerciale dont il a créé et dirigé le conseil scientifique. Cela lui a valu des critiques sur un lien supposé entre les deux événements. Je dois avouer qu’à partir de là je n’ai plus pu l’écouter avec la même oreille et ai arrêté d’avaler des oméga-3…

Mais revenons à notre propos. Pourquoi les journalistes font-ils appel à des experts ? J’y vois plusieurs raisons. Parce-ce qu’il est possible de leur faire dire en 30 secondes quelque chose de convenu mais qui venant de leur bouche paraît objectif, voir scientifiquement établi. Et aussi, pour créer un soi-disant débat d’idées qui lui aussi est parfaitement convenu. On oppose des points de vue différents connus d’avance. L’avantage de cette formule est de faire de l’audimat si le débat est suffisamment saignant. Ce qui me dérange est que ces experts sont de véritables Pic de la Mirandole ; il sont le plus souvent interrogés sur des sujets qu’ils maitrisent à peine. L’idéal serait que  l’expert soit consulté sur un problème auquel il a travaillé sérieusement et dont il est aussi capable de parler de manière accessible pour éclairer l’auditeur. Cette situation où le vrai expert aurait un rôle à jouer est malheureusement assez rare. Le spécialiste capable de communiquer n’est pas fréquent, et il n’est pas certain que le public soit friand d’information sérieuse.

Je regardais il y a peu un débat sur la crise Chypriote dans une émission de débat qui passe sur France 5 : C’est en l’air. Sur le plateau, quatre spécialistes, des habitués. Erreur de casting, l’un des « experts », un politologue connu, ne semblait pas connaître le sujet, ce qui ne l’empêchait pas d’occuper son temps de parole sans aucune vergogne. Il parlait vraiment en l’air. C’est le cas où, naïvement, on aimerait que l’expert refuse l’invitation d’aborder un sujet dont il n’est ni un spécialiste ni même un honnête homme averti.

Chacun d’entre nous est fait de contradictions. Nous nous plaignons de la complexité du monde et aimerions le comprendre mieux. Mais nous sommes aussi trop pressés ou trop fatigués pour prendre le temps de le comprendre. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que les médias fassent appel à des experts qui, pour reprendre l’expression de Patrick Le Lay, ex PDG de TF1, ménagent notre « temps de cerveau humain disponible ».

L’article qui suit donne un exemple d’expert sorti de l'imagination fertile de mon collègue blogueur.

(1) Marianne, Les experts. Savants, guignols ou imposteurs, 22 mars 2013.
(2)  Paris : Jean-Claude Gawsewitch, 2012.

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