jeudi 16 mai 2013

Mais où sont les funérailles d’antan?


Pierre Pestieau

Il y a quelques années et en guise de boutade à un collègue qui me demandait sur quoi j’allais travailler après avoir consacré plusieurs années de recherches aux retraites et à la dépendance, j’ai lancé : l’économie des funérailles, ajoutant que le premier article aurait un titre digne de Shakespeare: Enterrement ou crémation, c’est la question. Etait-ce une simple boutade? Non dira un bon économiste.

Tout naturellement il ne résistera pas à la classique analyse coûts/avantages.
Coûts financiers d’abord. En général, la crémation est nettement moins chère que l’inhumation, mais ces coûts privés ne prennent pas en compte l’impact environnemental qui est plus incertain.

Du côté des avantages, on aurait tendance à trouver l’inhumation plus vieillotte et la crémation plus moderne. La visite des cimetières fait partie de la tradition ; on y découvre, à l’occasion de la fête des morts ou de funérailles, les pierres tombales sur lesquelles sont gravés les noms de parents que l’on a peut être oubliés ou que l’on n’a jamais connus. Les « grandes » familles s’y révèlent par leurs caveaux, souvent luxueux au départ, mais aussi souvent à l’abandon aujourd’hui. Ces expériences de mémoire ne sont pas imaginables dans un columbarium (du latin « niche de pigeon »), et a fortiori si les cendres sont dispersées. En revanche, les cimetières sont tristement des lieux d’exclusion et de profanation. Les suicidés n’y avaient pas leur place. Les extrémistes s’y défoulent de temps à autre, ce qui est choquant mais, tout de même, moins que s’ils s’en prenaient à des vivants.

Le coût relatif joue un certain rôle dans l’augmentation des crémations, comme la mobilité croissante. Même en Europe, nous ne vivons plus là où nos ancêtres ont vécu et sont morts. En Amérique du Nord cela a toujours été le cas. Dans ces conditions, les cimetières ne peuvent plus être un lieu de retrouvailles régulières. Il y a aussi le temps. Les gens pressés n’ont plus le loisir de passer une journée entière à ces funérailles que Brassens a si bien chantées. L’incinération surtout quand elle se termine par une dispersion des cendres est apatride et dans ce sens plus moderne.

Outre les facteurs économiques, certains facteurs légaux et religieux ont pu expliquer pourquoi la crémation a connu un démarrage lent dans nos contrées. En France, elle n’est autorisée que depuis 1889. Il faudra attendre le début des années 1990 pour que la crémation cesse d’être qu’une pratique anecdotique, signe, le plus souvent, d’un esprit ouvertement libre-penseur et détaché des croyances et pratiques religieuses. L’Eglise catholique ne lèvera son interdit qu’en 1963. Selon les associations crématistes (et non pas naturistes), en 1980, cette pratique était à peine choisie par un pour cent des familles françaises. En 1994, on passe à 10,5%. Aujourd’hui, on est à 30%.

Je ne peux résister à évoquer deux belles pages du cinéma en faveur de l’une ou de l’autre « technique ». Il y a cette séquence de Big Lebowsky des frères Cohen où les deux protagonistes dispersent les cendres de leur ami mort d’une crise cardiaque au bord d’une falaise donnant sur le Pacifique. Au moment où ils procèdent à cette dispersion tant voulue par leur ami, une bourrasque rabat les cendres sur eux qui s’en trouvent nappés, comme couverts de neige. Un bon vieil enterrement leur aurait évité cette situation ridicule.

Il y a aussi le film Guantanamera qui narre le transport rocambolesque d’un défunt à travers Cuba. A la fin d’un long périple le cercueil s’ouvre accidentellement et révèle un défunt qui n’est pas celui que l’on voulait transporter. Cela ne serait pas arrivé avec une bonne crémation. Les cendres n’ont pas de couleur, sauf lorsqu’on s’en trouve nappé...

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