jeudi 13 juin 2013

L’argent qui pourrit (1)


Pierre Pestieau

Pendant mon enfance, on ne parlait pas d’argent en famille. Peut-être était-ce parce qu’il n’y en avait pas beaucoup, mais dans la morale familiale, c’était plutôt une affaire de « bon goût ». Plus tard, j’ai lu et entendu que les Belges et les Français ne parlaient pas d’argent alors que les Américains ne s’en privaient pas. Mais je me suis aussi rendu compte que ne pas en parler, ne veut pas dire que l’on ne n’y pense pas. Les Tartuffes de l’argent sont plus fréquent que les Tartuffes du sexe.

Ces traditions perdurent dans le monde universitaire. Aux Etats-Unis, on peut trouver sur la toile ce que gagne tout un chacun dans la plupart des universités publiques. En Europe, pendant très longtemps, le revenu était le même pour tous à ancienneté donnée. Les ressources d’origine familiale et depuis plusieurs années les suppléments de salaires restent dans l’ombre.

A l’occasion de l’opération glasnost lancée par François Hollande, le patrimoine des ministres est du domaine public et on ne peut que s’amuser des dits et des non-dits de la classe médiatique et politique. J’ai lu quelque part qu’il était difficile pour des ministres de cohabiter s’ils disposent d’un patrimoine trop différent. Comme il s’agit d’un gouvernement de gauche, un patrimoine supérieur à la moyenne nationale choque ; mais comme nous vivons au XXIème siècle, un patrimoine inférieur à la moyenne nationale est interprété comme un signal d’incompétence. Dure, dure la politique. Y aurait-il un niveau de richesse optimal qui soit acceptable par l’opinion ?

Ce qui me semble important c’est que chacun se rende compte de sa position dans l’échelle des revenus et surtout de celle des autres. J’entends souvent des collègues (universitaires) se plaindre du salaire de misère (et plus tard, des retraites) qu’ils touchent. L’un d’entre eux m’a un jour dit qu’il ne travaillait pas plus d’une demi-journée par semaine pour l’institution qui l’engage, puisqu’en cinq heures de consulting il touche  le revenu que lui verse son université pour les cinq heures de cours qu’il y fait. Il importe de rappeler ici que les professeurs d’université appartiennent au décile supérieur de la distribution des revenus et ont, en outre, un travail passionnant et une liberté quasi absolue.

Autre situation choquante. Quelqu’un me dit qu’il touchera une retraite complémentaire tellement ridicule qu’il se demande s’il va faire les démarches requises pour la toucher. Je lui en demande le montant : 600 euros, à peu de chose près, la moitié de la retraite médiane des Belges et des Français.

Je terminerai par une anecdote qui me reste encore en travers de la gorge. Il y a une bonne vingtaine d’années, je participais à une réunion de type « think tank » de jeunes militants du PS à Paris. Tous avaient déjà une position importante puisqu’ils étaient venus pour la plupart en taxi ou avec leur chauffeur particulier ; en tout cas pas en métro. L’invité de la soirée était le directeur de la RATP de l’époque, Christian Blanc,  auquel je faisais observer que certaines voitures de métro portaient toujours l’inscription « première classe » ; elles me semblaient moins remplies que les autres parce que certains passagers pensaient que la distinction de classe était toujours en vigueur. Personne ni bien sûr le directeur de la RATP ne s’était rendu compte de cette situation ; tous avouaient sans honte « métro connaît pas ».

(1) Cette expression fait référence à la phrase de François Mitterand énoncée il y a  quarante ans, lors du congrès d’Épinay : « l’argent qui corrompt, l’argent qui achète, l’argent qui écrase, l’argent qui tue, et l’argent qui pourrit jusqu’à la conscience 
des hommes ». Elle a été abondamment reprise à l’occasion de l’affaire Cahuzac.

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