jeudi 27 juin 2013

Shimon Peres ou Quand les Dieux se marrent


Uri Avnery, écrivain et journaliste israélien

Membre de la Knesset (Parlement israélien) de 1965 à 1973 et de 1979 à 1981, Uri Avnery est surtout connu comme militant des droits des palestiniens et pacifiste convaincu. Il appartient à une tendance de la gauche radicale israélienne et se définit comme post sioniste En 1982, il rencontre publiquement Yasser Arafat en vue de discuter d'une résolution du conflit. Il écrit régulièrement dans la presse israélienne et internationale. Voici ce qu’il écrit sur Shimon Peres, actuel Président de l’Etat d’Israël.

Si la vie de Peres était une pièce de théâtre comment faudrait-il la qualifier : de tragédie, de comédie ou de tragi-comédie? Pendant 60 ans, elle a ressemblé à la malédiction que les Dieux avaient imposée à Sisyphe : il devait pousser au sommet d’une montagne un rocher immense, qui retombait dans la vallée dès qu’il atteignait le sommet.


Un va-t-en guerre qui ne va pas à la guerre

Arrivé en Palestine avec sa famille, il est envoyé dans un kibboutz, où il fait immédiatement preuve de sa perspicacité politique. Il est instructeur dans un mouvement de jeunesse socialiste qui se scinde en deux groupes : ses amis rejoignent le groupe de gauche, lui reste fidèle au parti au pouvoir, le Mapai, et se fait remarquer par ses aînés.

La guerre de 1948, que nous considérions tous comme un combat pour la vie, le conduit à un choix beaucoup plus important. La plupart des jeunes choisissent les unités combattantes. Peres se fait envoyer à l’étranger par Ben-Gourion pour acheter des armes—une tâche capitale évidemment, mais qui aurait pu être accomplie par un cadre plus âgé. Peres est considéré comme un tire-au-flanc et ses collègues ne le lui ont jamais pardonné : leur mépris l’a poursuivi pendant bien des années.

A 30 ans, Ben-Gourion le nomme directeur au Ministère de la Défense—une promotion importante, qui lui permet une ascension rapide. Et en effet, il joue un rôle majeur en poussant Ben-Gourion à engager le pays dans la guerre de Suez (1956), aux côtés de la France et de la Grande-Bretagne. A mon avis, cette guerre a été un désastre politique pour Israël et a creusé l’abîme entre le nouvel Etat et le monde arabe. Mais les Français font preuve de gratitude en lui « donnant » le réacteur nucléaire de Dimona.

Pendant cette période, Peres se montre particulièrement va-t-en guerre, et fait partie d’un groupe que la revue que je dirigeais à l’époque a soupçonné de vouloir accéder au pouvoir en utilisant des moyens peu démocratiques. Mais avant que ceci ne se produise, Ben-Gourion se fait éjecter par les vétérans avec lesquels il avait combattu, et Peres est forcé de le suivre dans son exil politique. Ils forment alors un nouveau parti, le Rafi, qui, en dépit du fait que Peres se bat comme un lion, n’obtient que 10 sièges au Parlement. Voilà Peres-Sisyphe qui retombe de la montagne avec son rocher.

Premières tentatives ratées

Sa rédemption arrive avec la guerre des Six Jours (1967). Le Rafi se voit proposer de faire partie d’un gouvernement d’union nationale. Mais le premier prix va à Moshe Dayan nommé Ministre de la Défense. Peres reste dans l’ombre.

L’occasion suivante se présente après la guerre de 1973. Golda Meir et Dayan se font remercier. Peres est le candidat évident au poste de Premier Ministre. Mais voilà, à la dernière minute apparaît Yitzhak Rabin qui, venu de nulle part, devient chef du gouvernement. Peres hérite du Ministère de la Défense.

Complots et construction de la première colonie en Palestine occupée

Pendant les trois années qui suivent, Peres utilise tous les moyens pour saper Rabin, en permettant, entre autre à des extrémistes de droite de construire la première colonie au cœur des territoires occupés (en Cisjordanie). La qualité d’« infatigable donneur de coups de poignard dans le dos » que lui donne Rabin lui colle encore à la peau.
Ce chapitre se termine par l’épisode du « compte en dollars » de Rabin. Lorsqu’il quitte son poste d’ambassadeur à Washington, Rabin garde un compte bancaire aux Etats-Unis. En ce temps-là, c’était interdit et passible d’amende, mais Rabin démissionne pour protéger sa femme.

Nouvelles tentatives ratées, tournages de veste et re-complots

Enfin, la voie est libre. Peres prend la tête du parti travailliste et se présente aux élections. Les travaillistes devaient remporter l’élection, comme cela avait toujours été le cas depuis 44 ans. Mais, les Dieux ont souri. Peres réalise l’inimaginable : les travaillistes perdent. Menachem Begin est élu et fera la paix avec l’Egypte. Moshe Dayan, le concurrent de Peres est à ses côtés.

Elections de 1981. Juste avent le décompte complet, face à une caméra, Peres est donné vainqueur. Pas de chance. Israël se réveille avec Begin au pouvoir.

Peres et Rabin poussent Begin à envahir le Liban. Après la débâcle israélienne, Peres s’affiche lors d’une immense manifestation et condamne la guerre.

Les élections qui suivent se soldent par un ex-æquo. Peres devient Premier Ministre, mais une rotation est prévue. Lorsque vient le tour de Shamir, Peres essaie de l’évincer dans un complot douteux, que Rabin qualifiera d’« exercice puant ».
L’impopularité de Peres atteint de nouveaux sommets. Durant les meetings électoraux, il est insulté et reçoit des tomates. Lors d’une réunion du parti, il demande s’il est réellement « un perdant ». « Oui » lui répond-on à l’unisson.

Il se fait faire un lifting pour changer son air de chien battu. Mais aucun remède chirurgical ne pouvait changer son absence de grâce. Pas plus que ses dons oratoires. Cet homme qui avait prononcé plusieurs milliers de discours n’a jamais exprimé la moindre idée originale. Juste des platitudes énoncées d’une voix grave, voix dont, par ailleurs, tout politicien rêve.

Il devient colombe et rafle le Prix Nobel de la Paix

Entre-temps, Peres le va-t-en guerre devient colombe. Il prend part aux accords d’Oslo, mais c’est Rabin qui recueille les lauriers. Après Oslo, le comité Nobel envisage d’attribuer le Prix de la Paix à Rabin et Arafat. La pression fait inclure Peres, ce qui exclut Mahmoud Abbas qui avait, comme Peres, signé l’accord (le prix étant donné à trois personnes au plus).

Assassinat de Rabin ; devient Premier Ministre par défaut, mais pas pour longtemps

L’assassinat de Rabin est un tournant pour Peres, qui apparaît à la tribune à ses côtés. Après avoir entonné le « chant de la paix », il descend les marches et passe devant Yigal Amir qui attend son arme à la main. Le meurtrier laisse tranquillement passer Peres et tue Rabin—une autre insulte, si l’on peut dire.

Enfin, Peres réalise son but. Il devient Premier Ministre. La chose évidente à faire est d’appeler à de nouvelles élections, en se présentant comme héritier du dirigeant assassiné. Il aurait largement gagné. Mais il veut être élu sur base de ses propres mérites et postpose l’élection.

Les résultats sont désastreux. Peres donne l’ordre d’assassiner Yahya Ayyash, l’« ingénieur » qui préparait les bombes du Hamas. Les représailles se font très rapidement sentir et Israël se trouve pris dans un tsunami d’attentats suicide. Alors, Peres envahit le Sud Liban, un moyen sûr, pense-t-il, d’accroître sa popularité. Mais la chose tourne mal, l’artillerie israélienne provoque un massacre dans un camp de réfugiés géré par les Nations Unies, et l’opération s’achève de façon peu glorieuse. Peres perd les élections, et Netanyahou prend le pouvoir.

Lorsqu’un peu plus tard, Ariel Sharon est élu, Peres lui offre ses services, ce qui efface partiellement l’image sanglante qui poursuit le général Sharon dans le monde.

Enfin, Président malgré lui

Malgré sa longue vie politique, Peres n’a jamais remporté la moindre élection. Il décide alors de se présenter au poste de Président. Victoire assurée, d’autant plus que son adversaire, Moshe Katzav est un fonctionnaire très quelconque du Likoud. Nouvelle insulte : le petit Katzav remporte le poste contre le grand Peres.

Mais cette fois les Dieux semblent s’être ravisés. Katzav est accusé de violer ses secrétaires, la voie est ouverte pour Peres et, enfin, il devient Président.

Auto-célébration de son passé glorieux

Il n’a, depuis lors, plus arrêté de célébrer sa victoire. Les Dieux, pleins de remords, lui font quelques faveurs. La population qui l’avait détesté pendant des dizaines d’années se met à l’aimer. Les célébrités internationales le consacrent grand parmi les grands.
Mais cela ne lui suffit pas. Affamé d’amour pendant toute sa vie, il avale les flatteries comme un tonneau sans fond. Il parle constamment des concepts « Paix » et « Nouveau Moyen Orient », tout en ne faisant rien de sérieux pour les promouvoir. Même les speakers de la télévision sourient lorsqu’ils répètent ses édifiantes paroles. En réalité, il fait office de feuille de vigne à Netanyahou dans ses exercices répétés d’expansionnisme et de sabotage de la paix.

Le point culminant vient de se produire la semaine dernière. Assis à côté de Netanyahou, Peres célèbre, deux mois avant la date réelle, son 90ème anniversaire, entouré d’une pléthore de célébrités nationales et internationales, baignant dans le bonheur comme un adolescent. Ne parlons pas du coût—Clinton seul a reçu un demi million de dollars pour y assister.

Après toutes les cruautés qu’ils lui avaient fait subir durant toute sa vie, les Dieux se sont bien marrés.

[Traduit de l'anglais par Victor Ginsburgh, qui est aussi responsable des intertitres]


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