jeudi 29 août 2013

Charité et pédophilie


Pierre Pestieau

Don Camillo
La « freakonomics » (issu de freak = saugrenu + economics = économie) utilise des concepts économiques d'un point de vue anticonformiste : elle n'hésite pas à bousculer les idées conventionnelles. En argot, freaky veut dire effrayant, et la freakonomics est aussi parfois effrayante. Les tenants de cette approche amassent de grandes quantités de données pour répondre à des questions simples mais intéressantes, du style : « Étant donné que la plupart des dealers habitent chez leur mère, la vente de cocaïne rapporte-t-elle vraiment plus qu'un boulot chez McDonald's ? »

Très souvent cependant, les chercheurs abordent des sujets limites et apportent des réponses non seulement inquiétantes mais aussi discutables sur le plan méthodologique. Rien n’est en effet plus difficile que d’établir une relation de causalité, qui diffère d’une simple corrélation. L’exemple qui revient souvent et qui a été étudié par les « freakeconomistes » est celui du lien probable entre la légalisation de l’avortement dans les années 1970 et la chute de la criminalité aux Etats-Unis dans les années 1990 (1). La justification donnée est qu’en général, les femmes qui voudraient avorter sont dans une situation telle qu'il leur serait impossible ou très difficile d'élever des enfants (difficultés financières, situation vulnérable, jeunesse, etc.). Ces derniers sont par conséquent plus susceptibles de sombrer dans la délinquance, une fois arrivés à l'âge adulte. La légalisation de l’avortement aurait donc permis de diminuer le nombre de pareils cas.
La dernière en date de ces causalités douteuses, utilise comme « cause » d’autres effets les scandales liés à la pédophilie des prêtres catholiques aux Etats-Unis. Selon deux jeunes économistes (2), ces scandales répétés auraient réduit la pratique religieuse et l’adhésion à l’Eglise catholique. Du fait qu’il y a une certaine substitution entre les dépenses sociales de l’Etat et les activités sociales des églises, il semblerait qu’au cours des deux dernières décennies (1990-2008), on observe que le nombre de voix qui vont à des candidats démocrates ainsi que la demande de dépenses sociales ont augmenté davantage dans les Etats et villes sujettes à un plus grand nombre de scandales. Ajoutons que cette croissance des dépenses sociales ne compense que partiellement la diminution des contributions aux œuvres caritatives catholiques. Il faut la foi du charbonnier ou la naïveté de l’économiste pour croire à ce type d’explication.
(1) Steve Levitt and Stephen Dubner, Freakonomics: A Rogue Economist Explores the Hidden Side of Everything William Morrow, 2005
(2) Angela Dills  and  Rey Hernández-Julián,  Religiosity and state welfare, NBER Working Paper  19169, 2013. https://hq.ssrn.com/login/pubSignInJoin.cfm?abid=2287029

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire