dimanche 8 septembre 2013

Le bel âge



Pierre Pestieau

« Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie ». Cette célèbre phrase de Paul Nizan était précédée de « J’avais 20 ans » (1). A la suite de nombreuses études et d’articles de tout genre consacrés au nouvel âge d’or que serait celui des septuagénaires, je serais plutôt tenté d’écrire « J’avais 70 ans et ne laisserai personne dire… ». Deux exemples de cet engouement pour les 70 ans. D’abord dans un article récent, Le Monde (9 juillet 2013) commente une enquête de l'Observatoire de la révolution de l'âge réalisée par ViaVoice. Selon cette enquête ; 89 % des personnes ayant 70 ans et plus se déclarent « heureuses ». Parmi elles, 37 % se disent « très heureuses ».

La vieillesse est perçue comme le temps de la liberté. Spontanément, une personne sur dix  définit ce qu'est d'être âgé par le fait de profiter de la vie, en fournissant, par exemple, ces réponses : « pouvoir faire ce que l'on veut, avoir les moyens de profiter de la vie » ou encore « être libre de se déplacer et de voyager ».
Dans ce troisième âge, 44 % déclarent apprécier avoir du temps à consacrer à leur famille et à leurs proches, et 38 % avoir du temps pour leurs activités de loisirs, culturelles ou associatives. Car pour eux, la vieillesse est à séparer du grand âge. Etre âgé, c'est surtout, pour près d'une personne sur deux, « un sentiment de déclin » physique ou moral. Et l'on devient vraiment âgé lorsqu'on « cesse d’être  autonome dans son logement ».

Cette enquête confirme une tendance générale que plusieurs études avaient montrée: le bonheur croîtrait avec l’âge. C’est notamment la conclusion d’une large étude portant sur deux générations menée par la Florida State University et publiée dans Psychological Science (2) : le bonheur augmente avec l’âge, mais il est plus élevé pour les générations les plus jeunes, nées après 1925. En d’autres termes, la relation positive entre bonheur varie selon les générations. Elle ne serait pas la même pour celle de Charles Trenet, de Johnny Hallyday ou de Jean Jacques Goldmann.
Le bien-être est lié à de nombreux facteurs et événements de la vie, dont la réussite familiale, relationnelle et professionnelle et la santé. Mais même si l’on tient compte de critères comme la santé, les médicaments, le sexe, l'ethnicité et l'éducation, le bonheur augmente avec l’âge dans les 2 cohortes analysées.
Le bonheur et le bien-être déclarés par les générations nées au début du 20e siècle—qui ont vécu la crise de 1929 et la seconde guerre mondiale—sont sensiblement plus faibles que ceux des générations qui ont pu grandir durant les périodes de prospérité et qui ont profité de l'augmentation des possibilités d'éducation et du développement des programmes sociaux au cours de la seconde moitié du 20e siècle.
Malgré ce consensus des chercheurs, de nombreuses personnes âgées pourraient légitimement  rejeter l’équation bonheur égale vieillesse. Elles pourraient dénier à nos journalistes et chercheurs le droit de dire que 70 ans est le plus bel âge. Ce sont toutes celles qui vivent dans la précarité, souvent seules, et celles qui vivent dans la dépendance et la souffrance. Statistiquement, elles ne sont pas majoritaires dans la population des plus de 70 ans mais leur parole vaut la peine d’être entendue. Un seul indicateur, évoqué dans un blog précédent : l’espérance de vie en bonne santé des femmes françaises a eu tendance à diminuer ces dernières années.

Nous sommes ici à nouveau confronté à la tyrannie des moyennes statistiques qui ont un goût amer pour ceux qui s’en trouvent exclus. Une information du type « en dépit de la crise le revenu réel moyen des Belges a augmenté au cours de la dernière décennie » doit paraître bien douloureuse pour ceux nombreux qui n’ont pas connu cette embellie moyenne.

Nizan par qui j’ai commencé, c’est du lourd. Il est mort pour ses convictions. Dans un répertoire plus léger, on pense à la magnifique chanson de Barbara (1964) Le bel âge et à la non moins remarquable chanson de Serge Reggiani Il suffirait de presque rien (1970), qui devraient faire réfléchir ceux qui attendent leurs 70 ans avec impatience.

(1) Paul Nizan, Aden Arabie, Paris : Rieder, 1931.
(2) A. Sutin, A. Terracciano, Y. Milaneschi, Yang An, L. Ferrucci, et A. Zonderman, The effet of birth cohort on well- being. The legacy of economic hard times, Psychological Science,  24 (2013), 379-385.

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