jeudi 21 novembre 2013

Les bonnes intentions I


Pierre Pestieau

Bilinguisme aux Etats-Unis
Ces derniers temps, je me suis aperçu que certaines politiques apparemment souhaitables peuvent avoir des effets pervers inattendus : il n’y a pas que l’intention qui compte. Deux exemples. La parité dans les études universitaires et le bilinguisme anglais espagnol qui règne dans plusieurs parties des Etats Unis.

Dans une étude récente, Borjas, un des meilleurs spécialistes de l’immigration, montre que les immigrants américains connaissent des évolutions salariales beaucoup moins favorables aujourd’hui qu’il y a plusieurs décennies (1). Ce serait particulièrement vrai des immigrants d’origine latino-américaine et une des raisons invoquées semble être le bilinguisme anglais espagnol. Du fait de ce bilinguisme, il est possible de vivre sans apprendre l’anglais, ce qui peut être un handicap professionnel.


Un autre exemple est celui de la parité relativement récente qui règne dans les universités américaines. Elle entraîne une augmentation d’une certaine endogamie; les diplômés universitaires se marient entre eux, ce qui tendrait à accroître les inégalités de revenus (2).

Mon intention n’est pas de dénoncer la politique linguistique des Etats Unis et encore moins la parité dans les études, qui, soit dit en passant, n’est pas encore suivie d’une parité dans les salaires. Elle est simplement d’indiquer que ces deux évolutions peuvent avoir des conséquences inattendues sur l’égalité des chances et la redistribution. Or elles étaient sans doute inspirées par un souci d’accroître la mobilité sociale.

Revenir au temps de Cendrillon où le prince charmant épouse une pauvrette ou à celui où la princesse s’éprend d’un berger n’est pas une solution. Il suffit simplement de reconnaître que la famille et le mariage en particulier sont des vecteurs d’inégalité et d’adopter un système fiscal qui tienne compte de cette réalité.

Ces situations où l’intention première d’une politique est déjouée par les faits  relèvent de ce qu’on appelle parfois l’effet Mathieu (3) ou dans d’autres cercles la loi de Director (Director’s law) (4). Ce sont deux lois empiriques qui partent de l’observation de pratiques sociales. L’effet Matthieu se produit lorsque la classe moyenne bénéficie de programmes pourtant censés aider les pauvres; selon la loi de Director la plupart des politiques redistributives finissent par profiter aux classes moyennes au détriment des pauvres et des riches. Inutile d’ajouter que ces deux lois sont loin d’être universelles. 

(1) George J. Borjas, The slowdown in the economic assimilation of immigrants: Aging and cohort effects revisited again, NBER Working Paper No. 19116
(2) C’est Etienne de Callatay qui m’a signalé cette hypothèse qui continue de faire l’objet de tests multiples.
(3) La paternité de cet effet revient à Herman Deleek. Il est inspiré par la parabole des talents où le seigneur profère une sentence bien étrange : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a. »
(4) George J. Stigler, Director's law of public income redistribution, Journal of Law and Economics 13 (1970), 1-10.



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