jeudi 14 novembre 2013

Officines politiques


Pierre Pestieau

Tout lecteur assidu du Canard Enchaîné est familiarisé avec la réalité des officines, ces organisations poursuivant un but politique de manière secrète. Le journal satirique les a dénoncées à plusieurs reprises. Il en fut aussi la victime lors d’affaires demeurées célèbres. C’est surtout aux Etats Unis que ces organisations jouent un rôle dévastateur pour la démocratie. J’en donnerai deux exemples récents.

Il y a d’abord les officines qui ont noms « Freedom partners », « Generation opportunity », ou « Heritage » qui sont à l'origine des campagnes récentes contre l’Obamacare (1) et ont mené au blocage récent du gouvernement américain. Elles sont généreusement dotées par les frères Charles et David Koch, qui ont mis leur immense richesse au service de leur obsession : déstabiliser le socialiste Barack Obama. Depuis des mois, cette galaxie d’organisations a conçu, organisé et scénarisé la crise budgétaire qui a secoué l'Amérique. Elle a profité d'une concomitance exceptionnelle entre le vote de la loi de finance, l'entrée en vigueur de la loi sur l'assurance santé et la date butoir pour relever le plafond de la dette. Le chantage était simple : pas de vote du budget ni de déplafonnement de la dette sans report de l'Obamacare. Cette stratégie a momentanément échoué mais ce n’est que partie remise.


Un autre exemple est l’ensemble de lobbies qui travaillent sournoisement depuis des décennies pour arriver a supprimer les droits de succession aux États Unis (2). Il y a certes des milliardaires comme Walter Buffet ou Bill Gates qui sont en faveur de cette taxe mais la majorité des très riches américains est contre et finance de nombreux groupes de pression afin d’influencer les membres du congrès et l’opinion. Tous les arguments sont bons. Les plus courants  tendent généraliser des cas rares, comme celui de l’entreprise  familiale qui doit arrêter parce qu’elle ne peut pas faire face au paiement de droits de succession exorbitants. Parmi les lobbies les plus connus qui militent pour le rejet de ce qu’ils qualifient élégamment de taxe sur la mort (death taxation), on compte le « Policy and Taxation Group », le « National Center for Policy Analysis », le « Citizens for a Sound Economy Club for Growth », le « Grover Norquist's Americans for Tax Reform » et « The 60 Plus Association ».

J’ai eu l’occasion d’assister à un colloque organisé à Washington par l’American Enterprise Institute, un think tank lui aussi opposé aux droits de succession. Ce colloque a eu lieu il y a 3 ans juste avant que la taxe ne tombe à 0 (elle est maintenant revenue à ses taux normaux) ; il était intitulé : Si vous devez perdre un parent fortuné, c’est le bon moment. Ce fut un spectacle hallucinant. Une jeune professeure de la New York University commença par présenter sa défense et illustration des droits de succession. Elle ne put parler que 30 minutes et fut suivie par 3 orateurs maison qui démolirent son argumentation en utilisant une série impressionnante de contre-vérités et ce, avec mépris et arrogance. De véritables tueurs.

Certains prétendent que les officines et lobbies font partie du jeu démocratique. Si c’est le cas, il s’agit d’un jeu truqué pour deux raisons : leur action est souvent clandestine et les moyens mis en œuvre sont écrasants face à ce que peut offrir une opposition citoyenne.


(1) Pour rappel, votée par le Congrès en 2010, l’« Obamacare », ou « loi sur les soins abordables », permet a tous les Américains d’être assuré contre la maladie. Les inscriptions censées commencer le 1er octobre, furent retardées par un échec du système informatique.
(2) Lincoln, T., C. Collins, and L. Farris, (2006), Spending Millions to Save Billions, The Campaign of the Super Wealthy to Kill the Estate Tax, Public Citizen and United for a Fair Economy, Washington, D.C.
<http://www.citizen.org/documents/EstateTaxFinal.pdf>

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire