mercredi 6 novembre 2013

Tout fout l’camp


Pierre Pestieau

Il m’arrive de m’étonner en lisant ça et là qu’une partie de la population qui vivait naguère dans l’ « enfer » soviétique et qui depuis plus de deux décennies connaît les joies du « paradis » capitaliste manifeste une certaine nostalgie pour le passé. Certes elle ne connaissait ni le luxe ni la liberté mais bien une certaine forme de sécurité.

Nous aussi dans notre vie quotidienne, nous sommes soumis à une série de contrôles et de comptabilisations qui nous font parfois regretter un monde sans doute moins efficient mais plus rassurant.

Cette réflexion m’est venue à l’esprit lorsqu’il y a peu je me suis aperçu que dans le centre de recherche où je travaille l’impression de documents nous était comptée nominalement et facturée en conséquence. Même réaction lorsqu’il a fallu payer pour les chèques bancaires émis, pour le parking au bureau, pour les immondices, … toute une série de biens ou de services qui paraissaient gratuits et que tout à coup on doit payer à l’unité. Quand quelqu’un s’en plaint, je tâche de lui expliquer qu’il est optimal de faire payer ces biens et services qui ont un coût réel et qui, jusqu'ici, était mal utilisés parce que gratuits. L’exemple typique est celui de ces chèques de quelques euros qui coûtent bien plus à l’institution bancaire. Ou encore le Mexique d’il y a 40 ans où les petits pains, que les Bruxellois appellent des pistolets, étaient quasiment gratuits et débordaient de certaines poubelles. Anticipant sur les prochaines années, un jour viendra où l’accès à l’internet et à SKYPE sera payant. On aura aussi à ce moment-là le sentiment de la perte d’un droit que l’on croyait acquis.


Dans un registre parallèle, il y a toutes les frustrations que l’on peut éprouver lorsque ce qui était permis jusqu’alors ne l’est plus. Citons dans le désordre les feux de jardin, l’abattage d’un cochon ou d’une génisse dans son garage, le stationnement dans la rue où l’on habite. Du jour au lendemain ce qui était permis ou toléré ne l’est plus. Ici aussi la raison est évidente. Ce sont les nécessités du vivre ensemble. Mais même si on le comprend parfaitement, on a, à ces moments-là, le sentiment d’une part de liberté qui s’en va. Ou pour reprendre les mots de la chanson de Mouloudji que « Tout fout l’camp », qu’il conclut sagement par « Ou c´est moi p´têt´ moi qui vieillis. »

Pour faire plus sérieux comme le font si bien les politologues, on attribue parfois ce sentiment d’insécurité dans d’un monde qui change à la fameuse mondialisation et on explique ainsi la montée des partis d’extrême droite partisans de cadenasser les frontières pour garder bien au frais nos certitudes et nous préserver des invasions barbares. 

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