dimanche 1 décembre 2013

Changements climatiques et violence


Victor Ginsburgh

On a bien trop peu parlé dans la presse d’une étude qui s’est intéressée à l’influence des changements climatiques sur la violence et les conflits et qui a paru dans la rubrique « surprising science » sur le site web de la Smithsonian Institution. La radio belge quant à elle, a interviewé un « sçavant » (du style des Femmes Sçavantes de Molière) qui expliquait que tout cela était connu des « sçavants » depuis bien longtemps.

Bien sûr, on a souvent parlé des conséquences du changement climatique sur la montée des mers ou la désertification qui engendrent des migrations, des réductions de terres arables, et des augmentations de prix des aliments. Mais ce n’est pas ce dont il s’agit ici.

Voici ce qui a été écrit à ce sujet dans deux articles récents publiés dans Science (1) et dans Nature (2). Les auteurs des deux études ont procédé à un examen (que l’on qualifie de méta-étude) de quelque 60 articles et livres scientifiques sur la question. Ces études convergent vers le même résultat, à savoir que quelle que soit la région du monde et l’époque (et ils remontent à 10 000 ans avant notre ère), le changement climatique est non seulement corrélé à la violence, aux conflits et à l’instabilité politique, mais est aussi une cause (pas la seule) de ces phénomènes, y compris entre 1950 et aujourd’hui.


Dans ces articles, on ne compare pas deux régions ou deux époques différentes, on compare les effets d’une variation climatique de courte durée à deux moments différents mais pas très éloignés l’un de l’autre et dans la même région. L’article paru dans Nature (2) illustre parfaitement le propos. Les auteurs y comparent les effets de El Niño (courant chaud) et de La Niña (courant froid) dans les tropiques. Ce ne sont pas des courants liés au réchauffement global actuel, puisqu’ils existent probablement depuis plusieurs millénaires. Ces deux courants marins qui oscillent dans le temps naissent sur la côte ouest de l’Amérique du Sud et provoquent des perturbations atmosphériques accompagnées de désastres naturels tels que sécheresses, inondations et cyclones (3). L’article montre qu’entre 1950 et 2004, la probabilité d’apparition d’une nouvelle guerre civile (4) dans les tropiques double durant les années  El Niño par rapport aux années La Niña, et que El Niño est très vraisemblablement la cause de quelque 20% des guerres civiles depuis 1950. Dans son ouvrage paru en 1999, l’archéologue Brian Fagan remonte à l’antiquité pour expliquer la chute de certaines civilisations et certains changements culturels qui pourraient avoir été provoquées par El Niño (5).

Il vaut mieux ne pas penser aux effets du changement climatique. Si les prévisions actuelles se vérifient et que la planète subit une augmentation de température de 2° Celsius seulement—ce qui est optimiste puisqu’on parle aujourd’hui de 4°C—, les crimes entre personnes pourraient augmenter de 16% et les guerres civiles de 50% (6). Les Niños et Niñas ne sont après tout que des enfants (de chœur) et les ours polaires ne seront pas les seuls à avoir des problèmes.

(1) Solomon Hsiang, Kyle Meng and Mark Kane , Quantifying the influence of climate on human conflict, Sciencexpress, August 1, 2013 http://www.sciencemag.org/content/early/recent
(2) Solomon Hsiang, Kyle Meng and Mark Kane, Civil conflicts are associated with the global climate, Nature 476 (2011), 438-441.
(3) Si vous voulez en savoir plus sur ces courants, voyez http://www.pmel.noaa.gov/tao/elnino/faq.html
(4) Est défini comme guerre civile une dispute entre le gouvernement et un parti politique qui a fait au moins 25 morts. Une telle dispute est « nouvelle » si elle apparaît au moins deux ans après le dernier événement similaire.
(5) Brian Fagan, Floods, Famines and Emperors: El Niño and the Fate of Civilizations, New York: Basic Books, 1999.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire