mardi 15 avril 2014

Smoking (1)


Pierre Pestieau

Victor Ginsburgh et moi avions un ami qui fumait beaucoup alors que nous étions entrés dans l’ère vertueuse du TCT (tout contre le tabac). Sa justification à laquelle même lui ne croyait qu’à moitié était qu’avant de s’en prendre aux fumeurs, il aurait fallu commencer par lutter contre la pollution des villes et des campagnes due aux voitures, chauffages et usines.

Un rapport récent de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) semble lui donner raison « à titre posthume ». Il apparaît en effet que la pollution de l’air a tué prématurément près de 7 millions de personnes dans le monde en 2012 (2). « La pollution atmosphérique est désormais le principal risque environnemental pour la santé dans le monde »,  insiste le docteur Maria Neira, directrice du département santé publique à l’OMS. Elle ajoute : « Les risques sont désormais plus importants qu’on ne le pensait, en particulier en ce qui concerne les cardiopathies et les accidents vasculaires cérébraux. Peu de risques ont un impact supérieur sur la santé mondiale à l’heure actuelle que la pollution de l’air ».
A titre de comparaison, le tabagisme provoque 6 millions de morts par an dans le monde. Pourquoi une telle explosion des chiffres et surtout pourquoi si peu d’efforts pour réduire la pollution de l’air en comparaison avec ceux qui sont investis dans la lutte contre le tabagisme ?
Il y a plusieurs raisons. D’abord, ce n’est que récemment que l’opinion a été alertée et informée du phénomène que l’on croyait réservé à des villes lointaines comme Pékin ou Mexico. Les chiffres tombent de plus en plus alarmants révélant un arrêt dans la baisse des taux de mortalité. Les auteurs de la pollution sont aussi moins identifiables que dans le cas du tabagisme. Viendra peut-être un jour le temps où l’on sera gêné de conduire une voiture diesel ou de ne pas faire entretenir, voire de remplacer sa chaudière. Mais on en est loin. Les victimes elles aussi sont différentes. Dans le cas du tabagisme, c’était les fumeurs et leur entourage. Ici, ce sont des gens qui parfois n’ont rien avoir avec la pollution. Les enfants, les femmes enceintes et les personnes âgées sont les plus vulnérables.
Il y a quelques semaines, ma voiture a rendu l’âme après 12 ans de loyaux services. Il m’a fallu la remplacer. J’étais alors convaincu que j’allais acheter une voiture propre, certainement pas une diesel. Et pourtant… Pour diverses raisons d’habitudes, de prix et d’offre, j’ai fini par acheter une diesel. Certes le vendeur a calmé ma conscience en m’expliquant que ma nouvelle voiture était bien plus propre que la chère disparue. Mais je ne suis pas dupe.
Ceci dit on ne peut pas miser sur l’improbable civisme de nos compatriotes pour résoudre un problème tels que celui de la pollution. Nous sommes au cœur de ce qu’on appelle la « tragédie des communs » (3). Elle se produit lorsqu’un individu a un intérêt personnel à utiliser une ressource commune de façon à maximiser son usage individuel, tout en distribuant entre les utilisateurs le coût d'exploitation. Dans ce cas la seule solution est de passer par la puissance publique qui s’efforcera de réduire les émissions toxiques, de rendre l’air plus respirable par la réglementation ou la fiscalité. Parmi les mesures à prendre d’urgence, on citera l’instauration de la circulation alternée quand la pollution atmosphérique est intenable, une augmentation de pistes cyclables et de transports publics bon marché, une hausse des taxes sur le diesel et un réglementation accrue de la propreté des chaudières tant industrielles que domestiques. A long terme, on ne fera pas l’économie d’une refonte radicale de notre habitat et de notre mobilité.

(1) Hommage à Alain Resnais qui vient de nous quitter.
(2) Voir Libération du 26-3-2014.
(3) Il s’agit de l’histoire d’un village d’éleveurs, où chacun peut faire paître ses animaux dans un pré n’appartenant à personne en particulier (les communs). L'accès libre à cette ressource limitée pour laquelle la demande est forte mène inévitablement à sa surexploitation et finalement à sa disparition. 

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