mardi 30 septembre 2014

L’Iran peut-il nous sauver (et sauver l’Islam) du fondamentalisme ?


Victor Ginsburgh

Persepolis (550-330 av. J.C.)
Le dernier discours du Président iranien Hassan Rouhani à l’Assemblée Générale des Nations Unies (et sa phrase assassine : « certains services secrets ont mis des lames dans les mains de fous, qui ne vont épargner personne … ceux qui ont joué un rôle dans la création et le soutien de ces groupes de terroristes devraient reconnaître leurs erreurs ») sera sans doute une fois encore contesté par ceux qui n’arrêtent pas de considérer que l’Iran est un pays dangereux et guerrier. Dans ce même discours il s’est dit « étonné que ces groupes meurtriers puissent se prévaloir de l’Islam ».

J’ai pris la peine de remonter au début du 19ème siècle pour voir combien de fois l’Iran avait commencé un conflit (1) et suis forcé de constater que les deux seuls conflits initiés par l’Iran en 200 ans concernent le problème de la ville de Herat en 1838, suivi par la guerre Anglo-Perse de 1856-57 (et encore, parce que je n’ai pas compris qui avait commencé), et leur conflit suite à la demande d’indépendance des Kurdes depuis 2004, mais là ils sont loin d’être les seuls. Aucun autre conflit n’a, sauf erreur, été initié par l’Iran durant ces 200 dernières années, et certainement pas celui, meurtrier, entre l’Iran et l’Irak entre 1980 et 1988.
Il faut ajouter à cela la crise entre l’Iran, les Américains et les Anglais après l’élection démocratique du premier ministre Mossadegh en 1951, dont le gouvernement a été  renversé en 1953 dans un coup d’état orchestré par les services secrets britanniques (MI6) et américains (CIA). Nos bons Angles et Saxons avaient pris peur parce que Mossadegh envisageait de nationaliser l’industrie pétrolière. Ils l’ont remplacé par leur homme sur lequel ils pouvaient compter, Shah Mohammed-Reza, avec les conséquences que l’on sait (2).

J’avais rapporté dans un blog daté de mars 2012 (3) que ce qu’on disait d’Ahmadinedjad, l’ancien président tant décrié était faux (4, 5):

« Les media créditent Ahmadinejad de propos qu’il n’a pas tenus. Il n’a jamais dit qu’il fallait ‘effacer Israël de la carte’. Ce mythe est dû à une erreur de traduction. Ahmadinedjad aurait utilisé les mots prononcés par Khomeini en 1980 : ‘le régime d’occupation en place à Jérusalem sera effacé de la page du temps.’ ».

Dans ce même blog, j’écrivais, à l’intention de M. Netanyahou, le « bombardeur » de service :

Comment vont les Juifs iraniens ? Assez bien merci, comme le montre un article du New York Times, écrit par un journaliste dont non seulement le nom est Cohen mais qui a aussi visité l’Iran en 2010 (6). Il y a plus d’une douzaine de synagogues à Téhéran. A Ispahan, les Juifs prient dans une synagogue qui fait face à une mosquée dont le nom est Al-Aqsa. Un marchand juif auquel le journaliste demande ce qu’il pense des « Mort à Israël » quotidiens, répond : « Je vis ici depuis 43 ans et n’ai jamais eu le moindre problème, » et la communauté de quelque 1.200 Juifs d’Ispahan se réclame d’ancêtres qui sont arrivés dans la ville il y a 3.000 ans. 25.000 Juifs continuent à vivre en Iran (mais il est aussi vrai que 75.000 sont partis après l’arrivée de Khomeini en 1979).

Bon, ils veulent la bombe dit-on, c’est pas bien ! Mais ils sont quand même prêts à discuter, ce que beaucoup d’autres qui l’ont bel et bien n’ont jamais voulu faire et ne disent pas s’ils l’ont. Et puis, quel est le groupe d’îlots qui n’a pas sa bombe, si ce n’est les Barbades, les îles Caïman, ou les Bermudes ?

Bon, ils livrent des armes au Hezbollah, c’est pas bien non plus. Mais montrez-moi un pays qui produit des armes et n’en vend pas.

Je viens de terminer un ouvrage (qui date un peu, 1995, mais je ne pense pas que les choses aient grandement changé) sur les conditions de la femme dans le monde de l’Islam (7). Cet ouvrage est écrit par une journaliste australienne, qui a parcouru presque tous les pays où domine la religion islamique. La situation n’est bonne nulle part, surtout pas en Arabie Saoudite, qui est pourtant notre « meilleur allié » (8), mais pas même dans les pays dont on pourrait croire qu’ils sont modérés, comme la Jordanie. Voici ce qu’elle conclut :

«  C’est pourquoi je crois que l’espoir d’un changement positif nous viendra des femmes iraniennes même si elles sont aujourd’hui camouflées dans leurs tchadors noirs. Elles ne parviendront pas à démolir les murs érigés par la tradition. Mais à l’intérieur de ces murs, elles peuvent réaliser un havre pour les femmes soumises aux abus et à l’exploitation au nom de l’Islam ».

Arrêtons, comme le dit le Président actuel de l’Iran, de fantasmer et de jouer à  l’iranophobe de service. Pensons aussi à Ispahan et à Shiraz, au poète du 14ème siècle Hafez, à Maryam Mirzakhani, la première femme qui a obtenu, en 2014, la médaille Fields en mathématique, à Persepolis, et au magnifique cinéma iranien contemporain. 

(1) Les détails sont disponibles sur http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_wars_involving_Iran
et je ne donne ici qu’un très bref résumé : Guerre Russo-Perse (1804-1813) : due à l’annexion de la Georgie ;  Guerre entre l’Empire Ottoman et la Perse (1821-1823) : attaque perse à l’instigation des Russes ; Guerre Russo-Perse (1826-1828) : attaque perse à l’instigation des Anglais ; Siège de la ville de Herat (1838) : attaque de la ville de Herat avec l’aide des Russes ; Guerre Anglo-Perse (1856-1857) : je n’ai pas compris, mais la guerre n’a duré que 5 mois et a été perdue par les Perses ; Invasion par les Russe et les Anglais de l’Iran (1941-1945) : pas besoin de détails ; Crise entre l’Iran et l’Azerbaidjan (1945-1946) : provoquée par les Russes qui ne veulent pas se retirer d’Iran ; Rébellion au Dhofar (1973-1976) : alliance de l’Iran et des Anglais pour vaincre une rébellion dans le territoire d’Oman ; Guerre Iran-Iraq (1980-1988) : l’Iraq envahit l’Iran ; Conflit Iran-Kurdes (2004-en cours) : conflit avec les Kurdes d’Iran qui veulent leur auto-détermination.

(2) Voir au sujet de ce coup d’état l’excellent ouvrage de Stephen Kinzer (2003), All the Shah's Men, Wiley, 2003.

(3) Bombe iranienne et bruits de bottes israéliennes.

(4) Mike Whitney, Why Iran’s Jews are better off than Gaza’s Palestinians, Counterpunch, August 18, 2010.

(5) Voir aussi Glenn Kessler, Did Ahmadinejad really say Israel should be ‘wiped off the map’?, The Washington Post, October 5, 2011. Pour ceux qui connaissent le farsi, voici les mots (en caractères latins): “Een rezhim-i eshghalgar-i Quds bayad az sahneh-i ruzgar mahv shaved.”

(6) Roger Cohen, What Iran Jews say, The New York Times, 23 February 2009. http://www.nytimes.com/2009/02/23/opinion/23cohen.html

(7) Geraldine Brooks, Nine Parts of Desire. The Hidden World of Islamic Women, Anchor Books, 1995.

(8) On n’oubliera pas comment un bon nombre de sunnites d’Arabie Saoudite, dont certains faisaient partie de la famille de Bin Laden ont pu quitter par avion spécial les Etats-Unis à l’époque où aucun avion ne pouvait décoller du, ni atterrir sur, le sol américain), alors que le FBI aurait bien voulu en interroger certains.


2 commentaires:

  1. merci pour ce commentaire faisant la part des choses.

    RépondreSupprimer
  2. Très nuancé comme toujours. Ceci dit, les intérêts de l'Iran ne sont pas meilleurs que ceux d'autres grandes puissances: le pouvoir et l'influence.

    RépondreSupprimer