mercredi 15 octobre 2014

« Je bois, donc je suis »


Victor Ginsburgh

Mon titre est celui d’un ouvrage écrit par un philosophe très
érudit, grand spécialiste de la philosophie de la musique, mais qui a aussi écrit sur le beau, le désir sexuel et qui a composé deux opéras : Roger Scruton (1). Et qui, lorsque je l’ai rencontré il y a quelques années, buvait autant de vin que moi, mais connaissait, bien mieux que moi, ce que nous dégustions.

L’ouvrage est sérieux tant sur le plan œnologique que sur le plan philosophique, mais il est aussi souvent très drôle. Il commence d’ailleurs par un jeu de mots qui, comme souvent, est difficile à traduire. Je le cite en anglais en priant ceux qui ne le comprennent pas bien de m’excuser : « By thinking with wine you can learn not merely to drink in thoughts, but think in draughts » (2). 

Mais je veux surtout faire des citations de l’appendice de son ouvrage où au lieu d’expliquer, comme dans les livres de cuisine, quel vin se marie bien à quel plat, il remplace  « plat » par « philosophe ». A tout seigneur, tout honneur, et le titre de son ouvrage incite évidemment à se pencher sur ce qu’il faut boire en compagnie de Descartes :

« Le penseur qui était  le plus à même (avant les Monty Python) de tomber sur le titre de ce livre, mérite un peu de reconnaissance… Il est devenu le philosophe le plus surestimé (‘overrated’) de l’histoire, célèbre pour des arguments sans fondement et qui ne mènent nulle part. Pour l’accompagner je suggère un vin du Rhône très sombre qui compensera la légèreté des Méditations ».  

«  La dernière fois que j’ai compris ce que le mot ‘attribut’ de Spinoza voulait dire, c’était avec un verre de Mercurey rouge, Les Nauges 1999. Malheureusement, j’ai bu un autre verre avant de coucher mes pensées sur papier et je n’ai jamais pu les retrouver. »

« Quant à la Critique de la Faculté de Juger, je me surprends à essayer plusieurs vins, sans jamais me rapprocher de ce que Kant veut prouver, à savoir que le ‘jugement de beauté est universel mais  subjectif’ ».

« Bien que nous devions boire à la santé de Nieztsche, auteur de La Naissance de la Tragédie, ce doit être une potion diluée d’hypocondriaque, peut-être un doigt de Beaujolais, dans un verre rempli d’eau gazeuse ».

« L’œuvre magistrale de Sartre, L’être et le Néant introduit le Néant (‘nothingness’) qui hante tout ce qu’il a écrit et dit. Si je devais le relire, je chercherais un Bourgogne 1964 pour noyer le poison. Peu de chance d’en trouver, cependant. Voilà donc un grand écrivain que je ne relirai plus jamais, et j’en remercie le ciel».

« Quelle potion pour accompagner Heidegger, le philosophe qui nous a appris que « le rien n’est rien » ? Portez un verre vide à vos lèvres et sentez-le descendre, rien, rien, rien tout le long de votre œsophage. Voilà sûrement une expérience qui plaira au véritable connaisseur ».  



Sur base de mon blog de la semaine dernière (La semaine des prix Nobel), je conseille à mes collègues économistes de faire un travail similaire sur les Prix Nobel d’Economie. Mais j’ai aussi un post scriptum, que j’aurais d’ailleurs du mettre en ante scriptum :

Post scriptum. Je me rallie entièrement à l’avis exprimé par Etienne Wasmer dans Libération (3) : Jean Tirole, Prix Nobel d’Economie 2014 est un homme que l’on peut « résumer en trois mots : rigueur, modestie et pédagogie. [Le prix attribué à un] seul récipiendaire, représente un formidable symbole. Quand [il] récompense l’analyse du pouvoir des marchés et la régulation des marchés, le symbole est encore plus marquant ».
.

(1) Roger Scruton, I Drink Therefore I am. A Philosopher’s Guide to Wine, London : Continuum International Publishing Group, 2009. Traduit en français sous le titre Je bois donc je suis, Paris : Stock, 2011.

(2) Le texte dans l’ouvrage en français est bien moins drôle et se lit : « En pensant avec le vin, on n'apprend pas seulement à boire en pensant, mais aussi à penser en buvant ».

(3) Etienne Wasmer, Jean Tirole, un économiste de la complexité des marchés, Libération, 13 octobre 2014.


1 commentaire: