Pierre Pestieau
Imaginons un
monde dans lequel tous les individus seraient au départ identiques; ils seraient tous confrontés à la même loterie de vie: avec
une probabilisé élevée, ils auraient une vie professionnelle épanouissante, un réel
attachement à leur travail et une faible désutilité pour l’effort; avec la probabilité
complémentaire, extrêmement basse, ils auraient une vie où le
travail et
l’effort leur paraîtraient insupportables et, de ce fait, préféreraient vivre
petitement privilégiant le loisir à la consommation. Il est assez clair que
dans ce monde particulier les individus, s’ils en avaient l’occasion,
choisiraient de s’assurer pleinement avec pour résultat que leur utilité serait
la même dans les deux situations. Un tel résultat impliquerait donc que les paresseux seraient subventionnés par les
courageux.
J’utilise à
dessein les termes courageux et paresseux sachant qu’ils ne veulent pas
dire grand- chose si ce n’est un jugement de valeur permettant aux chanceux de
se justifier auprès des malchanceux de la loterie de la vie. En réalité ces
termes cachent des formes diverses de pathologies. La dépression, la
procrastination, une santé déficiente dans un cas et dans l’autre, de l’hyperactivité
ou une addiction qui porte le nom éloquent de workaholism (à ne pas confondre
avec alcoolisme au travail). Bien sur je décris ici un
monde manichéen avec des déprimés et des bourreaux du travail. En réalité, il y
a, heureusement, des cas intermédiaires.
Deux raisons à
cela. D’abord, cette situation ex ante
où derrière le voile d’ignorance nous ne saurions pas qui nous serons n’existe
pas vraiment. Le contexte familial, le groupe social auquel nous appartenons et
bien d’autres indices donnent déjà une information sur les chances que chacun de
nous a de tomber dans l’une ou l’autre catégorie. Ensuite, même si le voile
d’ignorance était aussi opaque qu’on le voudrait, il pourrait y avoir une
tentation pour les bourreaux du travail de se faire passer pour des paresseux
si les transferts d’un groupe à l’autre sont élevés et dépassent les gains monétaires
et psychologiques d’une occupation épanouissante et rémunératrice. Ces deux phénomènes
portent dans notre jargon d’économistes les noms de sélection adverse et d’alea
moral.
Tout ceci pour
dire que de l’Eloge à la paresse du beau fils de Karl Marx (1) à la pratique,
il y a un grand pas que seuls les utopistes et les rêveurs ont pu franchir.
(1) Paul Lafargue, Le droit à la
paresse , Ed. Climats, 1883, 89 p. Edition disponible en ligne.
A lire le très ancien livre de Jacques Leclercq
RépondreSupprimerhttp://www.lalibre.be/archive/eloge-de-la-paresse-51b8b39ee4b0de6db9b92c07