mercredi 9 décembre 2015

¡ Cuba Sí !

Victor Ginsburgh

Certains d’entre vous — et certainement ceux qui comme moi
avaient affiché un grand poster de Che Guevara au mur de leur bureau — se souviendront du film documentaire ¡Cuba Sí! que Chris Marker avait tourné en 1961, pour marquer le premier anniversaire de la révolution cubaine, et du boycott stupide de plus de 60 ans que les Etats-Unis ont imposé au pays et que, comme des moutons, nous avons allègrement suivi. Allègre veut aussi dire « joyeux ».

Quelle joie c’était, par contre, de voir finalement Batista éliminé. C’était un homme corrompu, ami de la mafia américaine, familier de la torture et des exécutions publiques — ce qui ne nous dérangeait pas plus à l’époque qu’aujourd’hui à voir nos petits pactes récents avec certains pays (2). C’est aussi l’homme qui a révoqué lors de son retour à Cuba en 1952 la Constitution relativement libérale qu’il avait lui-même fait adopter lors de sa première présidence de 1940 à 1944 et qui a fini par se réfugier au Portugal de Salazar où il a vécu, dans les environs d’Estoril, riche et heureux de ses pillages à Cuba.


Un récent article paru dans le New York Times (1) rapporte les
propos de certains habitants de La Havane qui veulent passer le flambeau aux jeunes générations. D’après cet article, la population continue de respecter la révolution, mais pour beaucoup de Cubains, il est temps de s’adapter, comme l’explique ce vieil homme de 79 ans :

« La révolution a ouvert mon futur. Elle a commis des erreurs, mais elle était essentiellement  très pure. Mes enfants ont tous fait des études et certains vivent à l’étranger. La révolution leur a donné des opportunités qui n’existaient pas de mon temps. Des changements sont aujourd’hui nécessaires, notre économie doit s’ouvrir, mais les idées centrales de notre politique ne doivent pas changer » (New York Times).

Mais ces anciens ne sont pas dupes et savent que ce ne sera pas le cas. Cela a déjà commencé d’ailleurs. Une personne que j’ai rencontrée il y a peu et qui revenait de Cuba m’a raconté que son frère y a acheté une maison il y a un an, et que les prix ont pratiquement doublé depuis.

On peut espérer que Cuba ne redeviendra pas ce qui avait été dénoncé en 1960 :

« L’histoire de la transformation d’un pays allié et amical en pays communiste est, dans une large mesure, l’histoire d’un gouvernement de Washington qui a manqué d’imagination et de compassion. Au lieu de leur tendre la main, notre seule aide a consisté à leur fournir des armes, ce qui a renforcé la dictature de Batista et a encouragé Castro et les Communistes à croire que l’Amérique était indifférente aux aspirations cubaines. Nous nous sommes coupés du peuple en défendant nos intérêts et les profits des sociétés privées américaines qui dominaient l’économie de l’île. En 1959, les sociétés américaines possédaient 40% des terres où était cultivée la canne à sucre, près de 100% des fermes où était élevé le bétail, 90% des mines, 80% des entreprises de services publics, 100% des puits de pétrole et nous fournissions deux tiers des importations cubaines. Le symbole de cette myopie est exposé dans le Musée de La Havane. C’est un téléphone en or massif qui a été offert à Batista par la compagnie américaine des téléphones cubains ».

Celui qui a dit cela n’est pas n’importe quel misérable journaliste américain de gauche, mais le Président Kennedy (3). Sauf qu’il avait oublié de compter les casinos, les bordels et la drogue dans l’apport que ses concitoyens avaient fait à Cuba.

On espère qu’ils ne recommenceront pas, sans quoi il faudra, comme au « bon » vieux temps, ajouter au ¡Cuba Sí! un virulent ¡Yankee, No!, dont ils se fichent d’ailleurs pas mal.

(1) Azam Ahmed, Cuban revolutionaries hope their legacy wan’t fade away, New York Times, November 7, 2015.

(2) Les ventes d’armes de la Belgique à l’Arabie Saoudite sont passées de 98 millions d’euros en 2013 à près de 400 millions en 2014, mais on nous promet une augmentation de 838% en fonction des contrats signés par un ministricule socialiste du coin. Alors que les exécutions par décapitation n’ont augmenté que de 200% de 2013 à 2014 et leur nombre reste très faible (175 cas entre juin 2015 et août 2014, comparé à 83 durant toute l’année 2014). Tout va donc très bien ! Voir F.-X. Lefèvre, L’Arabie saoudite, un gros client pour les armes wallonnes, L’Echo, 9 décembre 2015. Pour les exécutions capitales, voir http://www.presstv.ir/Detail/2015/08/25/426216/Amnesty-International-Saudi-Arabia-Said-Boumedouha-executions.


Speech of Senator John F. Kennedy, Cincinnati, Ohio, Democratic Dinner, October 6, 1960. http://www.presidency.ucsb.edu/ws/index.php?pid=25660

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