jeudi 4 février 2016

Courage pauvres victimes du Léviathan, le jour de libération est proc

Pierre Pestieau

Chaque année, la presse nous apprend qu’à partir de tel ou tel jour, le citoyen lambda pourra travailler pour lui même, alors que jusqu’alors, pendant le 6 ou 7 premiers mois de l’année, il travaillait à perte pour un Etat vorace, un Léviathan sans pitié. On devine la manière dont ce jour est calculé. Supposons qu’en moyenne le citoyen paye sous forme de taxes diverses l’équivalent de la moitié de son revenu, alors le jour de libération sera tout simplement le 1er juillet, la mi-année. Cet indicateur qui matérialise le nombre de jours de l’année où l’on travaillerait pour l’Etat, soit pour des prunes, avant de commencer à travailler « pour soi »,  est évalué et communiqué chaque année par l’institut Molinari, un think tank libéral franco-belge (1). A ce petit jeu, la Belgique est la meilleure. En 2015, son jour de libération était le 6 août. Elle est suivie par la France qui connaît son jour J le 29 juillet. Loin devant l’Irlande (28 avril) et le Royaume Uni (9 mai).


On notera en passant qu’un bon citoyen pourrait prendre le point de vue opposé et commencer par compter les jours où il travaille égoïstement pour lui même jusqu’au jour où enfin il peut se consacrer a la collectivité. On peut toujours rêver.

Plus sérieusement. Il est intéressant de voir ce qui se cache derrière ce concept ô combien idéologique de jour de libération. Pour les besoins de la discussion, faisons quelques hypothèses dont nous nous écarterons progressivement : (i) tous les individus sont identiques ; (ii) l’ensemble des prélèvement obligatoires, taxes et cotisations, servent à financer des transferts tels que les allocations de chômage, des biens collectifs tels que l’infrastructure routière, ou des bien privés publiquement produits tels que la santé et l’éducation ; (iii) les biens fournis par l’Etat le sont aussi efficacement que ceux fournis par le marché ; et (iv) la perception des cotisations et des taxes n’a pas d’effets désincitatifs.

Sous ces hypothèses, le verdict est simple : le jour de libération a lieu le 1er janvier. Vous achetez des biens privés aux prix du marché avec votre revenu disponible et des biens et services collectifs avec vos cotisations et vos impôts. On l’a compris le verdict serait différent si l’on relâchait les hypothèses qui viennent d’être faites.

Dans une société où il y a des riches et des pauvres, des jeunes et des vieux, des malades et des bien portants, la mission distributive et assurantielle de l’Etat providence fera qu’il y aura des gagnants et des perdants. Il est clair que le malade ou le chômeur recevra plus que ce qu’il aura versé sur l’année considérée. Il est moins clair que les services et biens publics qui sont financés par des taxes plus ou moins progressives favorisent les plus démunis. On peut l’espérer mais ce n’est toujours clair. Les classes moyennes bénéficient davantage de la gratuité de l’enseignement et de la santé que les classes plus défavorisées. Des travaux existent sur le sujet ; leurs conclusions sont loin d’être claires.

La deuxième hypothèse ne se vérifie pas dans nos pays qui sont fortement endettés. Chaque année, le service de la dette absorbe une partie non négligeable des recettes publiques et cet argent est perdu pour la génération présente.

Enfin il y a les deux dernières hypothèses qui voudraient que le secteur public soit aussi efficace que le secteur prive dans le financement et la production des biens publics. C’est une hypothèse abondamment discutée et pour certains extrêmement discutable. Du côté du financement, la désincitation dépendra de ce que l’on attend de sa contribution. Si elle est destinée à la redistribution ou au financement de biens publics, elle sera désincitante. En revanche, si elle finance un service dont la valeur dépend du montant de la contribution, la désincitation sera nulle. Du côté des dépenses, la question est de savoir qui de l’Etat ou du marché est plus efficace. Il existe de nombreux travaux sur le sujet. La conclusion la plus robuste de ces travaux est que l’efficacité dépend davantage du caractère concurrentiel de l’environnement que de qui de l’Etat ou du privé possède l’entreprise. Un monopole privé sera ainsi moins efficace qu’une entreprise publique qui est régulièrement soumise à des appels d’offre.

Pour me résumer, le jour de libération devrait varier selon les individus. Pour certains, ceux qui bénéficient des prestations de l’Etat providence sans y contribuer, il se situe bien avant le 1er janvier ; pour ceux qui au contraire contribuent plus qu’ils ne bénéficient des divers programmes publics, ce jour peut en effet se situer à la mi-année. Ce qu’il importe de retenir de ce rapide exercice est que le concept de jour de libération est beaucoup plus complexe et nuancé qu’il ne paraît au premier abord.


(1) http://www.institutmolinari.org/IMG/pdf/fardeau-fiscal-eu-2015.pdf

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