jeudi 10 mars 2016

Pays de contraste

Pierre Pestieau

J’ai récemment visité la Colombie, un pays à la fois attachant, où les inégalités pourtant flagrantes peuvent ne pas apparaître au visiteur ni même au Colombien. Vous atterrissez à l’aéroport El Dorado, qui n’a rien à envier à nos aéroports. On en sort rapidement pour prendre sans attendre un taxi qui le plus souvent se faufilera avec habilité dans une circulation digne de Bruxelles ou de Paris. On arrive dans un de ces quartiers de Bogota où l’habitat est confortable et les commerces richement achalandés. De nombreux parcs. Des clubs de sport où les Colombiens passent une bonne partie de leur temps de loisir, ce qui peut être tout le temps pour les retraités. Mais quand je dis les Colombiens, il s’agit de l’infime minorité qui peut se permettre de prendre l’avion, d’habiter dans les quartiers du nord de la ville, de payer des droits d’inscription élevés à ces clubs et de mettre leurs enfants dans des universités privées. L’Université de Los Andes que je visitais a une infrastructure supérieure à celle de nos facultés belges. Les droits d’inscription sont prohibitifs pour 99% de la population colombienne. Bref un pays de Cocagne pour les happy few.


Un article fort intéressant (1) montre à quel point la Colombie est un pays où la segmentation entre riches et pauvres est extrêmement prononcée. On apprend ainsi qu’en dépit d’une réduction dans l’inégalité des revenus, la concentration des revenus n’a pas changé au cours de ces dernières décennies. Le pourcent de la population qui a les revenus les plus élevés reçoit 20,5% de la totalité des revenus. Seuls les Etats Unis font aussi bien. La part de ces très riches est plus faible ailleurs, y compris dans les autres pays latino-américains ; elle est de 10% au Japon, 7% en Suède, et 17% en Argentine (2). Inutile de dire que si l’on se centrait sur la concentration de la richesse et non des revenus, les chiffres seraient nettement plus élevés.

Autre spécificité de la Colombie: ces très riches y sont des rentiers et des capitalistes et non pas des personnes touchant des hauts revenus dans la finance, le droit ou la médecine, ce qui est le cas ailleurs. Ensuite, la fiscalité ne semble pas affecter cette infime minorité de citoyens, ce qui n’est pas étonnant dans la mesure où le système politique apparemment démocratique est au service des très riches. Bien sûr, dans ce microcosme qui concerne au mieux les deux pourcent des familles les plus riches, on rencontre de nombreuses personnes à faibles revenus mais on ne les voit pas dans leur quotidien puisqu’elles sont déguisées en portiers, concierges, femmes de ménage, chauffeurs de taxi. Ces personnes habillées proprement et extrêmement courtoises ne troublent pas la tranquillité de ceux qu’elles servent. Elles touchent au mieux le salaire minimum qui serait de quelque deux cents euros par mois et pour se rendre sur leur lieu de travail, elles doivent passer plusieurs heures par jour dans des bus ou des collectivos inconfortables.

On fêtait il y a deux semaines le cinquantième anniversaire de la mort de Camillo Torres. Il s’agit de ce prêtre et révolutionnaire colombien, sociologue et militant de gauche et œuvra pour les droits des Colombiens les plus pauvres. Déçu par le manque de résultats politiques de son action, il entre en clandestinité pour rejoindre la guérilla colombienne. Il meurt lors d'une action militaire.

(1) Facundo Alvaredo et Juliana Londoño Vélez (2013), In Colombia the Top 1% Percent Grabs a Fifth of the Pie but Most of their Incomes are Tax-Exempt http://vox.lacea.org/?q=inequality_taxes_colombia%20

(2) Selon une étude de l’OCDE (Divided we stand. Why inequality keep rising ? Paris 2011), Ces chiffres seraient de 7,7% pour la Belgique, 8,9% pour la France, et 18% pour les Etats Unis et ce, pour l’année 2006. Pour la richesse, ces chiffres sont nettement plus élevés : respectivement 17%, 19% et 37%.

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