jeudi 5 mai 2016

Notes de lecture: Je crois que vous en serez d’accord


Victor Ginsburgh

Voici quelques fatwas tirées du merveilleux petit traité d’intolérance de Charb (1).

Mort aux verrines (pp. 11-12). Les amis qui vous ont invité à dîner vous servent à manger dans des verres. Oui, des verres en verre. Dans le meilleur des cas. Parfois les verres sont en plastoc transparent. [Prenez soin de gâcher] la soirée en réclamant qu’on vous serve à boire dans une assiette. Je crois que vous en serez d’accord, il faut vider cul sec le contenu de votre verrine avant de la fracasser sur le crâne de vos désormais ex amis. Amen.

Mort aux truffes (pp. 35-36). Pour faire se dresser un chien sur ses pattes arrière, agitez-lui un sucre au-dessus du museau. Pour faire se pâmer un con, collez-lui une lamelle de truffe sous le nez. Je crois que vous en serez d’accord, la truffe est le signe ostentatoire du parvenu sans talent qu’il faut râper grossièrement au dessus d’un tas de fumier. Amen.

Mort à Marrakech (pp. 37-39). Lorsqu’une émission de débat politique [sur la télé française] se termine, vous savez de quoi discutent hors antenne les participants que vous avez vus se déchirer sur le plateau? De leur prochain week-end à Marrakech. Je le sais, je les ai entendus. Je crois que vous en serez d’accord, il faut attendre le week-end pour raser Marrakech du sol au plafond; ça fera d’une pierre deux coups: on débarrasse l’humanité d’un aimant à cons et on libère les médias français de ses punaises confraternelles. Amen.


Mort aux surfeurs (pp. 54-56). Un requin lui a arraché une jambe. Le surfeur s’est vidé de son sang, s’est échoué et il est mort sur telle plage de la Réunion ou d’ailleurs. Un drame, évidemment. Je crois que vous en serez d’accord, il faut autoriser la chasse aux surfeurs dont les gourmettes bouchent les intestins de nos amis les requins. Amen.

Mort aux bistrots carafobes [c’est-à-dire tous les bistrots belges] (pp. 57-59). « Et comme boisson, vous avez choisi? » demande l’onctueux bistrotier. Oui, on a choisi: « De l’eau, une carafe d’eau s’il vous plaît ». Les zygomatiques commerciaux qui maintiennent douloureusement le sourire du patron se relâchent, ses babines s’affaissent, le sourire coule. Il vous arrache les menus des mains et disparaît dans le graillon de sa cuisine. Je crois que vous en serez d’accord, il faut obliger les restaurateurs à boire l’eau de la piscine qu’ils se sont payée en assoiffant leurs clients et dans laquelle ils font tremper leur gros cul pendant des heures. Amen.

Mort aux couples avec enfants (pp. 79-81). Deux. Un garçon, une fille. Trois et cinq ans. Les grands-parents ont prétendu qu’ils ne pouvaient pas les garder parce qu’ils allaient visiter le Mont Saint Michel. En réalité, les grands-parents n’ont pas bougé de chez eux. Ils ont tiré les rideaux, débranché le téléphone, fumé des pétards et tenté d’avoir une relation sexuelle. La vérité, c’est que leurs petits-enfants, ils ne pouvaient plus les voir. Les amis sont venus donc avec leurs enfants à ce week-end avec vous. En deux jours, il n’aura été possible de mener à son terme aucune conversation. Tout échange est interrompu au bout de treize secondes par une des gosses qui brandit une feuille de papier barbouillé (c’est un dessin), vomit, veut faire pipi, chante, saute de la deuxième marche des escaliers, cogne l’autre, s’étrangle avec une croquette pour chien, réclame à boire, pleure, hurle, réclame à boire, renverse le verre, met sont doigt dans la prise. Je crois que vous en serez d’accord, il faut stériliser de force vos meilleurs amis en les plongeant six mois jusqu’à la ceinture dans le bain-marie destiné à réchauffer les biberons. Amen.

Mort au verbe « impacter » (pp. 107-108). Et ta mère ? Elle s’est fait impacter par les Grecs ? C’est ce que vous hurlez au chargé de clientèle de l’agence de votre banque qui tente de vous expliquer que la perte de confiance des marchés a eu des conséquences sur les taux d’intérêt des emprunts immobiliers. Il n’a pas dit qu’il vous refusait votre emprunt parce que la perte de confiance des marchés a eu des conséquences sur le taux des emprunts immobiliers. Il a dit : les taux d’intérêt des emprunts immobiliers ont été impactés par la perte de confiance des marchés. Vous comprenez très bien ce que ça signifie. D’une part, vous n’obtiendrez jamais le prêt pour acheter une niche à Gisors, d’autre part ce gluant emploie un néologisme inutile. Et donc, ta mère, elle s’est fait impacter par les Grecs, oui ou merde ? Ah, oui, répond le chargé de clientèle, soudain très surpris par votre intérêt pour l’économie. « Oui, ma mère qui avait fait des placements hasardeux a été impactée par la crise grecque. » Que répondre ? Votre moral a été durement impacté par l’inébranlabilité de ce con. Je crois que vous en serez d’accord, il faut détourer un météorite de sa course vers le néant afin qu’il vienne s’écraser sur sa sale gueule, ça lui rappellera le sens du mot « impact ». Amen.

Charb, journaliste et caricaturiste à Charlie Hebdo a été assassiné le 7 janvier 2015 à Paris, après avoir émis la fatwa suivante aussi :

Mort à la peur islamiste (pp. 104-106). Ils ne sont rien, mais ils font peur. Ils sont une poignée, mais on les voit partout. L’Islam en France, c’est lui, le barbu hirsute. Il y en a combien, des épouvantails de ce genre, à rouler des yeux de dingues quand ils voient une caméra de télé ? Cent ? Deux cents ? Il y a en France plus de caméras que de musulmans extrémistes. Je crois que vous en serez d’accord, il faut claquer la gueule suffisamment fort de tous ceux qui ont peur de l’ombre de la barbe d’un salafiste afin de les réveiller de leur cauchemar. Amen.

[Pour raccourcir les textes originaux de Charb, j’ai parfois été obligé de changer quelques mots. J’espère ne pas avoir changé leur sens.]


(1) Les fatwas de Charb, tome II, Paris : Les Echappés, Charlie Hebdo, 2014.


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