mercredi 8 juin 2016

Brexit et détrônement de la langue anglaise

Victor Ginsburgh

Si le Brexit se produit, il y aura aussi un effet, peu décrit à ma connaissance, sur l’importance et le rôle de la langue anglaise dans l’Union Européenne.

En 2005 (1), l’UE compte 489 millions d’habitants, dont 182,5 millions connaissent raisonnablement bien l’anglais ; les autres langues les plus utilisées dans l’UE sont l’allemand (128,5 millions), le français (100,7 millions) l’italien (68,4 millions) l’espagnol (57,2 millions) et le polonais (43,5 millions). Ces chiffres tiennent compte des populations pour lesquelles ces langues sont maternelles et de ceux qui l’ont apprise comme langue étrangère (1).

Le Tableau 1 reproduit les détails pour chacune de ces langues. Les trois premières lignes donnent le nombre de locuteurs de la langue maternelle, de la langue acquise et le total. La ligne « locuteurs en GB » concerne ceux qui parlent les six langues en Grande Bretagne : l’anglais est maternel, les autres langues acquises. Ceci nous permet de calculer, dans la dernière ligne, le nombre de locuteurs qui restera dans l’UE en cas de Brexit.

Tableau 1: Nombre de locuteurs (en millions)















Anglais
Allemand
Français
Italien
Espagnol
Polonais














Langue maternelle
64,1
91,2
65,0
58,5
43,0
38,3
Langue acquise
118,4
37,3
35,7
9,9
14,2
5,2
Total
182,5
128,5
100,7
68,4
57,2
43,5







Locuteurs en GB
60,0
1,1
5,4
0,6
1,2
0
Locuteurs UE si Brexit
122,5
127,4
95,3
67,8
56,0
43,5







Notes: Pays où la langue est maternelle: Anglais: Grande Bretagne et Irlande; Allemand: Allemagne, Autriche, Luxembourg; Français: France, Belgique, Luxembourg; Italien: Italie; Espagnol: Espagne; Polonais: Pologne.


Le nombre de ceux qui connaissent l’anglais reste important, mais l’allemand (127,4 millions) deviendrait la langue la plus parlée dans l’UE, suivie de l’anglais (122,5 millions), du français (95,3 millions), de l’italien (67,8 millions) , de l’espagnol (56 millions) et du polonais (43,5 millions).

Le fait marquant, est que l’anglais perd sa première place, et, de façon plus importante, restera néanmoins langue officielle de l’UE, parce que parlée en Irlande. Ce pays de 4,1 millions d’habitants se verra ainsi doté deux langues officielles dans l’Union : l’anglais et l’irlandais. On peut se demander ce que diront les Catalans (7,5 millions) et pas mal d’autres pays européens, à l’exception des Maltais qui sont 0,8 millions et dont la langue est officielle aussi.

Il se fait qu’en outre, l’anglais est la langue la plus utilisée dans la rédaction des premières versions des rapports et propositions de réglementations de la Commission Européenne. En 2008, 72,5% des documents produits sont rédigés en anglais, contre 14% en français et 2.8% en allemand, alors qu’en 1986, 58% de ces documents étaient encore rédigés en français et 11% en allemand. Et la situation est devenue encore plus asymétrique. L’anglais est aujourd’hui passé à 82,5% et l’allemand à 2%.

On relèvera par ailleurs une donnée quelque peu surprenante. qu’en 2014, on a traduit 261 000 pages en anglais, seulement 155 000 et 136 000, respectivement, l’étaient en français et en allemand. C’est dire que la Commission produit et traduit surtout en anglais. Et, dans la pagaille, on peut imaginer que, de temps à autre, on traduit des documents de l’anglais vers l’anglais.

On peut enfin se demander comment les Allemands surtout, mais aussi les Français vont réagir à cette situation. D’autant plus que le Parlement allemand s’est déjà élevé contre cet état des choses bien avant qu’on ne parle de possible Brexit.

Un mal au crâne de plus pour l’UE, si la Grande Bretagne décide de voter en faveur du Brexit.

[Une version légèrement différente a paru le 8 juin dans L’Echo.] 


(1) Sauf mention contraire, les chiffres qui sont discutés dans la suite sont relatifs à l’année 2005.Voir Special Eurobarometer 255: Europeans and their Languages, European Commission, July 2006.




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