lundi 16 janvier 2017

L’allocation universelle : panacée ou leurre


Pierre Pestieau

Les journalistes ne sont pas les seuls à nous offrir des marronniers. Les économistes et les hommes politiques ont aussi les leurs. Citons la réduction du temps de travail, la Taxe Tobin ou la bonne vieille allocation universelle. L’Obs du 5 janvier 2017 consacre deux de ses éditoriaux l’un à l’allocation universelle et l’autre à la semaine de 20 heures. A plusieurs reprises, j’ai eu l’occasion dans ces colonnes d’éreinter l’idée du revenu universel. Force est de constater qu’avec le temps cette idée est devenue de plus en plus confuse, une vraie auberge espagnole, chacun y trouve ce qu’il veut bien y mettre.


Cette confusion apparaît d’abord dans la variété des appellations. On parle ainsi de « revenu universel », « revenu inconditionnel », « revenu d'existence », « revenu de citoyenneté » ou encore « impôt négatif ». Cette variété d’appellations cache d’ailleurs une variété de réalités portant sur le montant de cette allocation et les conditions, car il y en a, qui lui sont attachées.

La première fois que j’ai entendu parler de cette idée remonte à la campagne présidentielle américaine de 1972 qui vit la victoire du président républicain sortant, Richard Nixon, réélu avec 23,2 points d'avance face à son rival démocrate, le progressiste George McGovern. Ce dernier défendait l’idée d'un impôt négatif sur le revenu qui consiste à allouer à tout individu un montant fixe. Tout ménage qui ne gagne pas ce montant reçoit un impôt négatif qui fait la différence. Au-delà de ce montant on retrouve un impôt positif normal, progressif. Paradoxalement, cette proposition qui contribua à la défaite cinglante de McGovern, le dernier candidat démocrate vraiment de gauche, était défendue par Milton Friedman et James Tobin, l’un monétariste et l’autre keynésien.

La version la plus populaire et la plus radicale de l’allocation universelle est l’octroi d’un revenu de base inconditionnel à tout individu de 18 ans sans aucune condition de statut familial ou professionnel. L’individu aurait droit à ce revenu d’existence parce qu’il existe, et non pour exister. C’est de cette version que je voudrais traiter.
On pourrait se demander pourquoi il en est tant question maintenant. J’y vois deux raisons : la campagne présidentielle en France et la difficulté pour les candidats de gauche à trouver de nouvelles idées. Il y aussi la conjecture selon laquelle le chômage continuera d’augmenter du fait de la robotisation de notre économie et qu’il est de fait utile d’assurer à tous un revenu d’existence qui serait financé par un illusoire impôt sur les robots.

L’idée d’allocation universelle est à première vue alléchante pour autant qu’elle soir réaliste, c’est à dire politiquement et financièrement soutenable. On nous rappelle sans arrêt des expériences tentée et réussies ailleurs, la plus récente et la plus discutée étant la fameuse expérience finlandaise. Il faut être prudent sur ce point. En Finlande, l’expérience ne fait que commencer ; elle implique pendant 2 ans quelque 2000 demandeurs d'emploi de 25 à 58 ans qui toucheront 560 euros par mois. Cette allocation remplacerait toutes les autres qu'ils percevaient jusqu'alors, mais leur couverture santé et leur allocation logement seraient maintenues.

Concrètement, donner, disons, 700 euros par mois à tous les Français de plus de 18 ans, coûterait plus de 400 milliards par an, soit un quart du PIB. Certes une partie des dépenses sociales disparaîtraient mais pas toutes. On ne touchera pas aux dépenses de santé et d’éducation, ni aux allocations familiales et aux programmes pour handicapés. En outre dans un pays bismarckien (où les prestations sociales sont liées aux revenus) comme la France, il faudra compenser ceux qui aujourd’hui touchent des prestations de retraite ou de chômage bien supérieures à ce revenu de base. On le voit le coût global de cette mesure serait exorbitant, financièrement impayable et politiquement insoutenable. Et encore, il est difficile de penser que quelqu’un d’isolé puisse vivre décemment avec 700 euros. Or notre société comprend de plus en plus d’isolés qui de ce fait ne peuvent bénéficier des économies d’échelle du vivre ensemble (on est loin de la proposition suisse, récemment rejetée par referendum, d’octroyer une allocation d’environ 2500 euros).

Autre difficulté, il convient de s’assurer que le travail non qualifié demeure rentable. On retrouve ici le risque d’une trappe au chômage. Dernière difficulté, est-il tellement souhaitable de couper les citoyens du marché du travail ? La protection sociale actuelle est fondée sur les relations du citoyen avec le monde du travail et est gérée paritairement par les partenaires sociaux. Avec l’allocation universelle cette construction sociale qui remonte aux débuts de la sécurité sociale s’écroulerait, avec pour conséquence une perte à terme de support politique.

Il me semble qu’au lieu de leurrer nos concitoyens avec une proposition qui relève de l’utopie, il vaudrait mieux défendre des réformes qui sont de l’ordre du possible. Par exemple, uniformiser les minima sociaux, les relever tout en maintenant les tests de ressources qui les accompagnent. Les individualiser progressivement. Ou encore, adopter une allocation universelle pour les plus de 65 ans, catégorie d’âge où l’essentiel des revenus est d’origine publique et qui ne pose pas de problèmes vis-à-vis du marché du travail.


Mais pourquoi défendre ce qui est faisable quand on peut promettre l’impossible.

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