jeudi 4 mai 2017

Une médecine à deux vitesses

Pierre Pestieau

En parcourant la presse, on rencontre deux types de déclarations à propos de l’iniquité  de nos systèmes de santé. Des déclarations tantôt martiales : « On ne peut pas accepter qu'il y ait une médecine à deux vitesses », tantôt résignées : « On n’échappe pas à une médecine à deux vitesses ».
Qu’entend-on par là et quelle en est la réalité ?

L'expression « système à deux vitesses » désigne, normalement de façon péjorative, la concurrence néfaste d'un service privé parallèle à un service public et, partant, l'érosion de la qualité et de l'efficacité du service public. L'expression est surtout utilisée en santé mais elle s'applique aussi à plusieurs autres services publics tout particulièrement l’enseignement.


Dans le monde idéal où l’assurance santé a été conçue, les soins de santé seraient exclusivement financés par des cotisations sociales proportionnelles aux revenus et les soins de santé seraient accordés indépendamment des revenus du patient. Tous les domaines seraient couverts, y compris la dentisterie, l’ophtalmologie et la kinésithérapie. Les lunettes et les implants dentaires seraient remboursés et la qualité des soins serait la même pour tous. Les médicaments seraient gratuits. Le patient ne devrait rien payer à part sa cotisation. Bien entendu un tel système n’a jamais existé. Et force est d’admettre qu’on s’en éloigne de plus en plus.

Dans les dépenses médicales, on doit distinguer l’assurance maladie publique, les assurances privées (en France on parle de complémentaires et en Belgique, d’hospitalières) et les restes à charge, qui incluent le ticket modérateur, les médicaments non remboursés, les suppléments réclamés par certains médecins et certains hôpitaux, la pose d’implants dentaires ou l’achat de certains équipements oculaires ou auditifs. Ces restes à charge du patient (out of pocket) dont la nature et les montants dépendent de ce que ne couvrent pas les assurances publiques et privées ne sont pas négligeables. Ils représentent 3,7 et 1,5 % de la consommation privée en Belgique et  en France. Mesurés par rapport au total des dépenses médicales, ils sont évalués à 17,8 % en Belgique et 7,0 % en France.
Dans l’assurance maladie obligatoire, les plus aisés contribuent plus que les plus pauvres.
Par ailleurs, en dépit de fortes inégalités sociales de santé, qui impliquent des besoins de soins plus importants chez les plus pauvres, les prestations sont relativement homogènes entre classes de revenu. A première vue,  cette assurance publique effectue de ce fait une certaine redistribution. En France par exemple, les ménages appartenant aux 4 premiers déciles de niveau de vie contribuent au financement de l’assurance maladie obligatoire à hauteur de 12 % alors qu’ils reçoivent 44 % de l’ensemble des prestations (1). Au contraire de l’assurance maladie obligatoire, l’assurance privée et les restes à charge induisent très peu de transferts entre groupes de revenu. Mais si l’on part de l’idée fort réelle que les pauvres ont davantage de besoins de soins que les riches pour diverses raisons liées au style de vie, à la prévention et aux risques professionnels et environnementaux, le caractère redistributif ne nos systèmes de santé paraît moins clair.

Mesurés à leurs revenus, les pauvres ont une plus grande partie de restes à payer. Non seulement il y a cela, mais en outre, ils sont souvent amenés à reporter des interventions pourtant nécessaires faute de moyens. Cela veut dire qu’ils partent de plus bas et que leur gain de santé est plus faible.

Une vision certainement plus correcte de l’équité d’un système de santé consiste à mesurer son incidence sur le bien-être du patient. Cette vision prend sa source dans l’idée qu’il existe une interaction entre le revenu et la santé et que l’idéal serait de pouvoir exprimer le niveau de santé en équivalent monétaire. On aurait donc le revenu élargi incluant la valeur de l’état de santé avant et après l’intervention du système de santé (2). Cette approche devrait donner une vision encore moins rose de l’équité de notre système de santé dans la mesure où la santé et le travail interagissent étroitement. Les travaux sur le sujet sont encore à un stade expérimental. On doit raisonnablement s’attendre a ce que l’inégalité du revenu équivalent soit nettement plus forte que l’inégalité  du revenu standard.

Revenant au titre de ce blog sur une éventuelle médecine à deux vitesses, je dirais que nous avons plutôt une médicine a plusieurs vitesses et que cette tendance risque de s’accentuer si certaines reformes structurelles ne sont pas rapidement entreprises. Mais ça c’est une autre question.

 (1) Assurance maladie et complémentaires santé : comment contribuent-elles à la solidarité entre hauts et bas revenus ? Questions d’économie de la santé 225 - 
(2) Erik Schokkaert et Carine Van de Voorde, Equité du système de santé belge, Revue française d'économie XXIX, 2014/4.


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