mercredi 15 novembre 2017

La porte du Paradis

Victor Ginsburgh

« Si l’on croit qu’il y a un ensemble de règles pour les riches et un autre pour les pauvres, c’est bien parce que c’est le cas » (Editorial du Guardian, 6 novembre 2017).

Dans son article paru dans Le Soir du 8 novembre, Paul de Grauwe s’en prend à l’optimisation (ou évasion) fiscale qui n’est, bien malheureusement, pas illégale comme l’est la fraude fiscale, mais il ne propose pas de solutions pour lutter contre le phénomène, tout en écrivant qu’elles sont à l’étude. Un vœu pieux de mon collègue Paul.

Je doute que quoi que ce soit puisse être sérieusement à l’étude. Comme je l’ai entendu dire par le juge d’instruction belge Michel Claise le 7 novembre sur les chaînes de la RTBF, même les fraudeurs, et surtout s’ils sont gros et bien nourris, ne sont guère poursuivis, parce que les agents pour le faire sont trop peu nombreux. Faire croire que la fraude est poursuivie a dit haut et fort Michel Claise est « une escroquerie intellectuelle ». Voir notamment https://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-fraude-fiscale-et-les-paradise-papers-au-centre-du-debat-d-a-votre-avis?id=9757688



Il est évidemment difficile de faire voter des nouvelles lois qui permettraient de rendre l’évasion ne fût-ce que moins aisée et de recruter plus d’agents pour combattre la fraude, parce que ce sont ceux qui évadent et qui fraudent, ou qui sont proches des optimiseurs et des fraudeurs, qui font les lois. Et pas seulement aux Etats-Unis et en Grande Bretagne, mais chez nous aussi, par exemple l’homme d’affaires kazakh Patoch Chodiev, Armand de Decker, ex-président du Sénat, hommes d’affaires et avocat quand ça l’arrange et ce cher Nicky Sarkozy (1), en Belgique ; ou Bernard Arnault, François-Henri Pinault et Jacques Chirac en France (2). Et puis, s’ajoute à cela le bon prétexte que si on sévit légalement, les capitaux fuient dans les pays où l’imposition est plus laxiste, voire laxative.

D’après l’économiste français Gabriel Zucman qui enseigne à l’Université de Californie, Berkeley, 10 pour cent du PIB mondial sont investis dans des « paradis » fiscaux, et 80 pour cent de ce montant est détenu par le un pour mille des ménages les plus riches. Les règles sont non seulement différentes pour les riches et les pauvres, elles le sont aussi pour les super riches et les bêtement riches. Je vous suggère, non, plus exactement, je vous supplie de télécharger, mais aussi de lire la présentation ‘power point’ de Zucman et deux de ses collègues : €600 billion and counting : Why high-tax countries let tax havens flourish écrite en novembre 2017 (3).

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, et comme le montre le graphique publié par le Washington Post du 8 novembre 2017 (et qui est basé sur les travaux de Zucman), ce ne sont pas les Etats-Unis qui sont les plus pourris, mais l’Europe. L’estimation des pertes subies par celle-ci (78 milliards de dollars en 2014) est plus de deux fois supérieure à celle subie par les Etats-Unis, et les 14 milliards que perd l’Afrique pourraient sûrement être mieux utilisés s’ils restaient en Afrique.

L’éditorial du Guardian du 6 novembre 2017 parle bien du problème, je me permets donc de le citer longuement :

« Les impôts sont le prix à payer pour notre civilisation. Ceux qui votent se taxent eux-mêmes pour avoir des écoles, des routes, un service de santé, des pensions pour les retraités. Lorsqu’un groupe de la société fait sécession, et forme une république globalement mobile, pouvant choisir dans quelle juridiction elle veut opérer, nous sommes en droit de demander pourquoi cela peut se produire. Pourquoi les impôts sont-ils uniquement faits pour les pauvres ? »

Et de donner quand même un bon conseil : « Chaque gouvernement pourrait réduire l’évasion fiscale très rapidement en s’interdisant de donner des contrats aux consultants qui ‘offrent’ ces merveilleux conseils fiscaux ». Ce n’est pas très difficile à faire, mais très probablement loin d’être suffisant.



(1) Voir ne fût-ce que Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Kazakhgate

(2) Pour ceux qui ne le savent pas, « François Pinault et Jacques Chirac sont amis pour la vie. Le milliardaire a même pardonné à Bernadette de s’être acoquinée avec Bernard Arnault en acceptant de siéger au conseil de LVMH. Les Chirac sont toujours les bienvenus à Saint-Tropez et à Dinard. Même si Jacques n’est plus que l’ombre de lui-même (Voir L’Obs du 5 mai 2016 https://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20160504.OBS9805/chirac-bretagne-vanites-10-choses-a-savoir-sur-francois-pinault.html).


1 commentaire:

  1. Merci Victor !
    Zucman a, parmi d'autres, le mérite de confirmer que, même si elle n'égale pas les performances ( ! ) de l'Irlande, du Luxembourg et des Pays-Bas en la matière, la Belgique se comporte, elle aussi, comme un passager clandestin en matière d'impôt des sociétés.

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