mercredi 2 mai 2018

Les petits pas assurés des femmes, enfin, mais…

Victor Ginsburgh

Le premier pas est presque devenu institutionnel. M. Harvey Weinstein fera sans aucun doute de la prison pour abus et harcèlement sexuel. Comme d’ailleurs M. Tariq Ramadan, et on peut l’espérer, mais ce sera un peu plus difficile, M. Donald Trump.

Marie Curie, deux fois Prix Nobel
On pourrait sans peine ajouter à ceux qui méritent au moins une fessée, sinon un bastonnade sur Harvard Square, Lawrence Summers qui, en 2005, a dû démissionner de sa position de Président de Harvard University après avoir déclaré lors d’une réunion « scientifique » que, pour des raisons biologiques, les femmes étaient moins douées en mathématique et dans les sciences en général que les hommes. Il s’est d’ailleurs arrangé pour que le nombre de nominations définitives de professeures tombe de 36% avant lui à 12% durant sa présidence (1).

Les femmes ont reçu 3% des Prix Nobel seulement. Evidemment, leurs découvertes ont souvent été endossées et encaissées par des hommes. C’est, comme on le sait, le cas de Rosalind Franklin, qui avait détecté la structure de l’ADN, mais n’a pas très bien compris ce qui se passait. Elle s’est fait doubler par Crick et Watson, qui ont pu interpréter la découverte, et ont reçu le Prix Nobel en 1962. Elle était morte entretemps, ne pouvait donc plus être nobélisée, mais Crick et Watson n’ont pas pris la peine de prononcer son nom lors de la cérémonie des Nobel. Frieda Robscheit-Robbins qui a cosigné presque tous les articles scientifiques avec George Hoyt Whipple, Prix Nobel de médecine en 1934, est inconnue au bataillon. Comme la chimiste autrichienne Lise Meitner, roulée dans la farine par Otto Hahn pour la découverte de la fission nucléaire (Hahn a néanmoins admis l’apport de Meitner). Et Marthe Gautier qui a découvert l’anomalie du chromosome de la trisomie, mais sa découverte a été volée par un stagiaire du CNRS, un certain Jérôme Lejeune qui s’est empressé d’écrire un article sur la question a obtenu le Prix Kennedy pour ce qu’il a fait passer pour son travail (2).

Ceci n’empêche nullement les hommes de se croire plus intelligents qu’ils ne sont en réalité. Une étude récente (3) montre qu’un étudiant masculin a une probabilité de 61% de se croire plus intelligent que son voisin de classe, alors que ce chiffre tombe à 33% chez l’étudiante. La moyenne devrait évidemment être de 50% chez les uns comme chez les autres.

Dessin d'enfant
Mais les femmes viennent d’obtenir une belle victoire scientifique, celle de se voir attribuer par des enfants un rôle (presque) aussi important en science que l’homme. Une méta analyse—c’est-à-dire, une analyse de l’ensemble des analyses existantes—sur la manière dont les enfants américains voient les scientifiques, vient de paraître et montre que durant les 50 dernières années les croquis d’enfants auxquels on demande de dessiner un(e) scientifique (dessine-moi-un.e-scientifique, comme aurait dit le Petit Prince s’il avait parlé en langage inclusif), représentent de plus en plus souvent des femmes (4).

Cette étude (5) est basée sur 78 articles de recherches faites sur près de 21 000 enfants âgés de 4 à 18 ans. Les dessins collectés entre 1966 et 1977 représentent des femmes dans 0,6% des cas. Aujourd’hui, elles sont dessinées dans 28% des cas. Ce résultat peut être dû à plusieurs causes. Il y a plus de femmes qui ont des positions scientifiques aujourd’hui : Alors qu’en 1966, 19% de la population des candidat(e)s (Bachelor of Art) en chimie étaient des femmes, cette proportion est passée à 48% en 2015. Par ailleurs, les femmes sont de plus en plus souvent représentées et présentes dans les émissions télévisées et les revues pour enfants. La vérité ne sort-elle pas de la bouche des enfants ? On est encore loin des 50%, mais on avance et on peut espérer que les enfants seront plus intelligents que leurs parents.

Il y a quelques jours, le New York Times a publié un article demandant aux lecteurs de les excuser d’avoir omis de publier un certain nombre de chroniques nécrologiques. Voici le texte : « Depuis 1851 [date de création du quotidien], le NYT a publié des milliers de chroniques, dominées par des hommes blancs. Même durant les deux dernières années, nous avons remarqué qu’une chronique sur cinq seulement était consacrée à une femme. Nous ajoutons aujourd’hui des chroniques relatives à 15 femmes qui ont laissé des traces indélébiles, mais que nous avions ignorées. Et nous avons décidé d’en ajouter toutes les semaines » (6).

Mieux vaut tard que jamais.

Mais—ce qui me fait revenir au « mais » qui est en fin du titre de ce texte—une tribune signée par 14 femmes dans L’Obs du 10 avril est inquiétante (7) : « Nathalie Kosciusko-Morizet, Najat Vallaud-Belkacem et Cécile Duflot ont choisi de quitter la politique institutionnelle. Comment ne pas voir un symptôme, un signal d’alerte ? ... Devant ces départs féminins en chaîne, de Sandrine Rousseau à Fleur Pellerin, comment ne pas voir la difficulté, la fatigue, la dureté d’être une femme dans un univers façonné par et pour les hommes ? … La vie publique, minée par l’entre-soi masculin, a besoin de ce nouveau souffle pour se régénérer. »

C’est loin d’être gagné.

[Une version légèrement différente de ce texte a été publiée par L’Echo le 25 avril 2018]


(1) Voir par exemple Suzanne Goldenberg, Why women are poor at science, by Harvard President, The Guardian, January 18, 2015 https://www.theguardian.com/science/2005/jan/18/educationsgendergap.genderissues

(2) Emilie Brouze, L'effet Matilda ou le fait de zapper les découvertes des femmes scientifiques, L’Obs, 25 mars 2018.

(3) Katelyn M. Cooper, Anna Krieg, and Sara E. Brownell, Who perceives they are smarter? Exploring the influence of student characteristics on student academic self-concept in physiology, Advances in Physiological Education 42, 200-210, 2018

(4) En anglais le mot « scientist » est autant féminin que masculin, ce qui n’est pas le cas en français.

(5) David Miller, Kyle Nolla, Alice Eagly and David Uttal, The development of children’s gender science stereotypes: A meta-analysis of 5 decades of U. S. ‘draw-a-scientist’ studies, Child Development, 2018.

(6) Amisha Padnani and Jessica Bennett, Overlooked, The New York Times, March 8, 2018.

2 commentaires:

  1. Etant donné la difficulté d'accès aux commentaires pour éviter les "junkers", Luc Lemaire m'a demandé d'introduire le commentaire suivant. Le commentaire apparaît donc sous mon nom, mais il appartient à Luc. Le voici

    Cher Victor,

    Une faute de frappe dans ton blog : Larry Summers s'est fait virer de Harvard en 2005, pas 2015.

    J'aimerais citer Carl Friedrich Gauss, peut-être le plus grand mathématicien de tous les temps, et sa correspondance avec Antoine-Auguste Le Blanc, qui a duré quelques années.
    En fait c'est un pseudonyme choisi par Sophie Germain pour suivre (à distance) les cours de l'Ecole polytechnique créée en 1794 par Napoléon, et réservée aux garçons (jusqu'en 1972 d'ailleurs).

    Quand Napoléon a attaqué la Prusse, Sophie Germain s'est souvenue qu'Archimède avait été tué par un soldat romain, et a demandé à un général ami de sa famille de veiller sur Gauss pendant la campagne.

    Prévenu cordialement, Gauss a avoué qu'il ne connaissait pas Sophie Germain. Elle lui a donc écrit pour avouer la supercherie.

    La réponde de Gauss est connue, en voici un extrait :

    « Mais comment vous décrire mon admiration et mon étonnement à voir mon estimé correspondant Monsieur Le Blanc se métamorphoser en cet illustre personnage qui donne un si brillant exemple de ce que j’aurais trouvé difficile à croire. Un tel goût des sciences abstraites en général et, par-dessus tout, des mystérieux nombres premiers est excessivement rare ; on ne s’en étonne pas ; les charmes enchanteurs de cette science sublime ne se révèlent qu’à ceux qui ont le courage de s’y plonger profondément. Mais quand une personne du sexe qui, selon nos coutumes et préjugés, doit rencontrer infiniment plus de difficultés que les hommes à se familiariser avec ces épineuses recherches, quand cette personne réussit cependant à surmonter ces obstacles et à pénétrer leurs côtés les plus obscurs, alors sans aucun doute, elle doit avoir le plus noble des courages, des talents tout à fait extraordinaires et un génie supérieur.

    Evidemment les mots cruciaux sont « coutumes et préjugés » :

    Gauss n'était pas seulement un grand mathématicien mais un grand homme, ce qui n'est pas le cas de Laurence Summers.

    Bien à toi

    Luc

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  2. Un autre exemple d'illustre scientifique qui a, paraît-il (mais c'est controversé), bien profité d'une femme (pour prouver certains résultats, mais pas seulement) est Einstein.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Mileva_Einstein
    Luc Bauwens

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